Attention faux ami : les « concerti di belcanto » de Pesaro ne se limitent pas forcément à un répertoire italien compris entre 1640 et 1840 – dans l’acceptation large du terme « bel canto ». Proposés à l’heure la plus chaude de la journée comme une alternative au bain dans l’Adriatique, ils sont au Rossini Opera Festival ce que l’Instant Lyrique est à la saison parisienne : une photographie musicale pour voix et piano en marge d’une programmation plus ambitieuse. Point n’est besoin d’être la vedette d’une des productions de l’été pour en occuper l’affiche. Il n’existe pas de règle en la matière. Michele Pertusi le 20 août se prêtait à l’exercice entre deux Basilio de haute stature dans Il barbiere di Siviglia. La veille, Eleonora Buratto aurait dû y faire ses débuts dans la ville natale de Rossini. Souffrante ou finalement peu encline à interrompre ses vacances – l’histoire ne le dit pas –, elle est remplacée par Yolanda Auyanet, applaudie une seule fois in loco, en 2015 dans le Stabat Mater.
Cette soprano originaire de Las Palmas de Gran Canaria a déroulé jusqu’à présent l’essentiel de sa carrière au sud de l’Europe, à peu d’exceptions près. Les Nancéiens se souviennent de Donna Elvira dans Don Giovanni mis en scène l’an passé par Jean-Francois Sivadier. En France, elle fut aussi, les saisons dernières, Norma à Nice et Elisabetta dans Don Carlo à Marseille. De sa Musetta initiale, à 23 ans, dans La Bohème à Bari, il reste aujourd’hui peu de traces, de même qu’il paraît difficile d’imaginer qu’elle ait pu un jour chanter Lucia et Gilda. L’instrument, en abordant un répertoire plus dramatique, s’est étoffé jusqu’a rendre possible Alice dans Robert le Diable le printemps prochain à Bruxelles.
© Amati Bacciardi
Loin d’une mise en condition, les premiers numéros – des canciones de Rodrigo et Granados – confirment la maturité d’une voix devenue aujourd’hui large. En même temps que les affinités avec le répertoire maternel, se dessine la manière admirable dont la chanteuse contrôle son instrument. La science des couleurs pallie la difficulté à alléger la note ; l’aigu, sans être esquivé, est intelligemment écourté. La somme des intentions vient au renfort de la technique. Donner à comprendre d’un geste musical l’esprit d’une partition, telle est la marque des grands artistes, quel que soit l’instrument. Au piano, Giulio Zappa participe à l’égal de sa partenaire à l’éloquence du récital. « Caprice à ma femme », extrait des Péchés de vieillesse, a la saveur coupable d’une friandise.
C’est confrontée aux airs d’opéra que Yolande Auyanet use au mieux de cet art du chant basé sur une connaissance intime de ses limites : Mathilde inquiète puis rêveuse dans une tessiture idéale pour ce soprano désormais central ; Maria Stuarda acculée par la virtuosité de la cabalette mais Imogène conquise en une scène de folie où le récitatif sert de socle à une composition aboutie. La confiance gagnée, l’air de Leonora au 3e acte d’Il trovatore vient remercier l’enthousiasme du public en attendant l’intégralité du rôle à Liège mi-septembre. Un dernier bis extrait d’une zarzuela dont nous n’avons pas saisi le nom remet une couche d’Espagne sur un programme où il fut finalement plus question de chant que de beau chant, au sens strict du terme cette fois.