La mezzo-soprano Anne-Sofie von Otter retrouve les Brooklyn Rider, quatuor à cordes américain, pour un programme mêlant musique savante contemporaine et musique populaire, tel qu’ils l’avaient déjà présenté au public en 2016 avec l’album « So many things ».
Programme hétéroclite en apparence, mais qui place en son cœur le goût du beau son et le goût des mots ; et de John Adams à Björk, les interprètes excellent dans cet exercice.
Pour le beau son, on peut compter sur les Brooklyn Rider qui font preuve d’une intensité rare. Peu de regards sont échangés entre eux, mais on sent une énergie circuler entre les quatre hommes, donnant un son d’ensemble d’une grande richesse, notamment dans « Federico II » de Sollima où les instruments fusionnent. On apprécie également tout particulièrement « A Mirror For A Prince » composé par Colin Jacobsen, l’un des membres du quatuor : les divers solos permettent d’entendre le jeu clair et engagé de chacun, violons en tête. Ce niveau de précision à l’échelle individuelle offre un ensemble d’une grande richesse de couleurs, permise par l’écriture superbement dense et variée du compositeur. Un quatuor idéal donc, dont l’énergie et l’intensité ne faiblissent jamais, quand bien même ils accompagnent la voix.
Anne Sofie von Otter © Mats Backer
Anne-Sofie von Otter s’intègre parfaitement aux musiciens et n’abuse jamais de sa position de soliste. La mezzo et les membres du quatuor prennent d’ailleurs la parole à tour de rôle pour présenter le programme : la décontraction et l’humour font partie intégrante de ce concert et la chanteuse démontre – s’il en était encore besoin – un talent rare de conteuse. Du désespoir amoureux d’un troubadour (dans « Cant voi l’aube » de Caroline Shaw) à la chanson traditionnelle suédoise, d’une prosaïque histoire de café (dans « For 60 cents » de Colin Jacobsen) à la nostalgie d’Elvis Costello (« Speak Darkly, My Angel »), elle pare le texte d’une multitude de sentiments et son regard adresse au public chaque mot qu’elle prononce.
Il ne fait aucun doute que la voix n’est jamais aussi belle qu’en voix de tête pleine, dans le haut medium (son « Am I In Your Light » de John Adams suffit à s’en convaincre) ; on peut à juste titre préférer l’entendre à l’opéra que dans la chanson (notamment lorsque le son est amplifié). Mais on ne peut nier que ses excursions dans la chanson sont réalisées avec talent. On s’ennuierait très certainement n’était l’attention portée par Anne Sofie von Otter au texte ; mais elle chante avec une telle simplicité, un tel naturel que la voix se fait le vecteur du sens, qui prime sur le timbre.
Le public ovationne les artistes et semble écouter avec bonheur des pièces contemporaines qui pourraient sembler ardues de prime abord. Mais le son et le mot, les cordes et la voix, lorsqu’ils se mettent au diapason les uns des autres, ne peuvent que convaincre.
Avec une reprise enlevée de « Gimme gimme » d’Abba en bis, les interprètent achèvent de séduire les spectateurs. Loin de choisir la facilité, ils en offrent un arrangement complexe et dense qui brouille un peu plus encore la frontière entre musique savante et musique populaire : pour ce concert, il n’y avait que de la musique.