Quelle gageure que de prétendre emplir le Prinzregententheater avec un programme connu quelques jours seulement à l’avance. Le système « chat en poche » ne semble plus faire recette, et non seulement il reste encore le jour même sur l’Internet de nombreuses places non louées (à tous les prix), mais la salle est le soir du concert loin d’être comble. Une explication supplémentaire peut venir du système de réservation du festival d’opéra du Bayerische Staatsoper de Munich qui, en laissant la part belle au hasard, comme l’explique savamment Julia Weyrauther sur leur site, décourage les amateurs, alors que tant d’autres théâtres ont choisi la réservation directe sur Internet, oh combien plus immédiate et équitable.
Krassimira Stoyanova est une diva bulgare dont on n’a pas à rappeler la carrière. Elle chante depuis plus de vingt ans les principaux premiers rôles sur toutes les grandes scènes internationales. Elle est familière aussi avec le récital, dont ont été rendus compte dans ces colonnes, l’un d’eux consacré à des airs d’opéra, et un autre à la mélodie. Elle est bien connue aussi pour ses master-classes, où elle montre une grande empathie avec ses étudiants. Car cette grande technicienne du chant, maîtrisant parfaitement les questions de respiration, a suffisamment fait le tour des problèmes pratiques pour pouvoir se consacrer maintenant quasi-exclusivement à l’interprétation. Malheureusement, placé trop à droite côté cour, il ne nous a pas été possible de saisir toutes les qualités de sa voix, car comme beaucoup de solistes en récital, elle chantait beaucoup plus vers son pianiste et vers les spectateurs côté jardin, et de ce fait nous parvenait par retour une voix le plus souvent privée de ses harmoniques. Sans doute une personne recevant sa voix plus directement aurait-elle eu une toute autre impression. Maintenant, que peut encore chercher à prouver Madame Stoyanova, que peut-elle vouloir nous apprendre ? La grande leçon de son récital est justement la manière dont elle l’a conçu, montrant à la fois son professionnalisme et son humilité. La diva paraît sans aucun bijoux, dans une belle robe bleu-nuit avec effets de drapés, au début un peu tendue, mais en même temps d’apparence plutôt sympathique. Elle est accompagnée par Jendrik Springer, excellent musicien au demeurant, mais abusant trop – au moins au début – de la sourdine, et rendant ainsi trop étouffé le son du piano.
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Séduire. Pourquoi vouloir à tous prix commencer par du Schubert ? Pour des raisons vocales ? Le problème est que les plus grands ont chanté Schubert, que leur souvenir est toujours bien présent quoiqu’on fasse, et que la comparaison peut être cruelle. Schubert demande avant tout naturel et simplicité, alors que justement, Krassimira Stoyanova cherche sans cesse les effets, surjoue chaque situation d’un style maniéré et d’une gestuelle abusive, reléguant au second plan un texte souvent incompréhensible. Le style n’y est pas, même si un Ave Maria en demi teinte et presque parfois à mi-voix – avec quand même quelques moments de voix forcée à regretter – a constitué la meilleure des quatre mélodies. L’opération séduction n’a pas fonctionné vraiment, et les applaudissements sont juste polis.
Essayer de trouver son équilibre. Bien évidemment, Strauss à Munich, c’est une évidence. Mais là, le style y est, et le côté maniéré et affecté que prend la diva est beaucoup mieux adapté à ce répertoire, ne seraient quelques notes poitrinées dans « Die Nacht », où la prononciation est bien supérieure à celle des Schubert. De même, les ports de voix typiquement straussiens sont parfaitement exécutés, alors qu’ils n’avaient rien à faire chez Schubert. Ensuite un peu primesautière et enjouée, Madame Stoyanova achève avec raison par le beau « Morgen ! », tellement merveilleux lorsqu’elle reste en demi-teinte. En tous cas, certainement une très bonne idée de terminer sur cette mélodie, le public commence à être visiblement conquis.
La partie est-elle gagnée ? Pas encore, car les mélodies romantiques de Korngold se trouvent entre deux répertoires. Minaudant à nouveau dans « Was du mir bist », la diva retrouve de belles demi-teintes dans « Mit dir zu schweigen », puis des sonorités de plus en plus métalliques, particulièrement dans l’aigu, pour « Welt ist stille eingeschlafen ». Fin de la première partie, après 40 minutes de mélodies quasi non stop, la chaleur des applaudissements monte, mais au bar on parle visiblement plus de l’actualité, du temps qu’il fait et de l’orage qui a éclaté en fin d’après-midi, que du concert lui-même.
Feu d’artifice. Avec Tchaïkovski qui ouvre la seconde partie, la cantatrice se retrouve dans le domaine slave, et donc dans sa culture. Par ailleurs ces mélodies, de véritables petites scènes, se rapprochent de l’opéra, et Tatiana n’est jamais loin. Elle les attaque donc en tragédienne lyrique, montrant qu’elle y est plus à l’aise que dans l’élégie. L’ensemble est chanté avec une grande unité stylistique, et le public commence à adhérer fortement à l’amour de ce répertoire que la cantatrice veut lui faire partager.
Achever de convaincre. Chose qu’elle continue avec Rachmaninow, dont les quatre mélodies montent en puissance et même en violence, depuis « Poljubila… » aux beaux jeux de sonorités, jusqu’à « Ne poj… », où elle donne la plus grande expressivité, parfaitement en phase avec le genre musical et le texte, même si elle ne peut s’empêcher d’aller parfois jusqu’à l’exagération. Mais, maintenant totalement libérée de toute inquiétude, la diva sait qu’elle a gagné la partie, les bravi fusent au milieu d’applaudissements de plus en plus chaleureux.
Pour conclure… Pour elle, interpréter Slatew-Tscherkin, c’est visiblement se faire plaisir de le chanter et de le faire découvrir à son auditoire, une gourmandise pour la fin. On l’y découvre avec un talent plus original et raffiné de vraie diseuse, allant du parlando au déclamatoire, et rappelant à nouveau avec « Sineokata » quelle grande tragédienne lyrique elle est. C’est avec ce répertoire somme toute un peu démodé qu’elle a su maintenir en haleine la salle entière, et terminer sous une salve nourrie d’applaudissements. Deux bis de la même veine n’ajoutent rien à la démonstration, sinon montrer en sus son humour quand elle salue les spectateurs bien mal élevés qui quittent la salle par grappes compactes avant même qu’elle n’ait terminé.