Sixième concert de Paris, le 14 juillet sur le Champ-de-Mars. Stéphane Bern à la télé commente. François-Xavier Roth dirige l’Orchestre National de France, le Chœur et la Maîtrise de Radio France. Arbitrage sans surprise, robuste, conforme au gigantisme de l’événement – on annonce 500.000 personnes. Equipes musicales impeccables, en confiance sur leur terrain. Le lendemain, la France est en finale de la coupe du monde de football. Le vocabulaire se met au diapason de l’événement. La Marseillaise est chantée avec une ferveur renouvelée. « Allez les bleus » est le leitmotiv – peu wagnérien – de la soirée.
Répertoire habilement choisi pour offrir du tube et de l’alternative au tube. Inconfortablement assis dans l’herbe, l’œil embrasse une scène placée au pied de la Tour Eiffel, encadrée de deux écrans sur lequel le regard inévitablement s’arrime. Sans eux, les artistes paraitraient des insectes accrochées à une toile de lumière. Vues impressionnantes panoramiques de Paris et de la foule, immense, agglutinée entre les allées d’arbres jusqu’à l’Ecole Militaire. On pique-nique ; on fait des selfies ; on rabroue celui qui debout masque le podium ; les gardiens de la sécurité, nombreux mais peu concernés par la musique, font des pronostics bruyants sur le match à venir. Infraction à la règle sacro-sainte du silence durant les concerts classiques que, pour raison de carrure, on évite de leur rappeler.
Quelques belles images involontaires comme celles de spectateurs à la recherche d’un carré d’herbe enjambant les groupes sur la bacchanale de Samson et Dalila, chorégraphie cocasse que l’on croirait imaginée par Laura Scozzi dans un opéra mis en scène par Laurent Pelly
Patricia Petibon interprète l’air de Dalila, « Mon cœur s’ouvre à ta voix » en anglais dans une version arrangée par Didier Lockwood. Hommage poignant à un mari, disparu brutalement en début d’année, plutôt que mise en avant de son véritable talent. Aïda Garifullina, Juliette au français exotique – ce que confirme dans la barcarolle des Contes d’Hoffmann des « zéphirs embrasés » empatés – s’essaie à Norma sans convaincre du bien-fondé d’un tel choix. Inadéquation stylistique, vocalises survolées, trille escamoté, aigu fragile comme toujours lorsqu’une voix légère déporte son assise : retirez-lui la serpe ! Philippe Jaroussky pare d’ailes « Alto giove », extrait de Polifemo de Porpora avec cette musicalité et ce timbre dont la pureté, transcendée par les micros, semble inaltérée. Un ange passe. Jean-Francois Borras possède un ténor lyrique désormais suffisamment développé (spinto en italien) pour envisager « Nessun Dorma » sans effort, ni défaut de ligne et de phrasé. Reste à allumer le feu. Matthias Goerne se glisse plus aisément dans la houppelande feutrée de Wolfram que dans les culottes satinées de Don Giovanni. Inversion des rôles propres à réjouir les militantes de #metoo, on a l’impression que Zerlina, par le chant imagé de Joyce DiDonato ne fera du séducteur qu’une bouchée. A eux deux séparément revient pourtant la palme du frisson : lui dans une Romance à l’étoile, tirée de Tannhäuser, toute d’émotion contenue, prière pudique à laquelle la Tour Eiffel répond en un magique scintillement ; elle souveraine dans un « Lascia ch’io pianga » où chaque note pensée et sculptée se place au service de l’expression.
Quoi d’autre ? Des chœurs, des pages orchestrales à effet pour justifier les assauts de lumière, du grand, du lourd, du sensationnel à la mesure du lieu et du gigantesque cierge de fer éclairé à la gloire de la France dont ce soir le rouge et le blanc s’effacent derrière le bleu.