La chose s’implante timidement en France, à travers les efforts de quelques maisons d’opéra, mais il paraît évident que l’opéra participatif n’a pas encore pris chez nous l’ampleur qu’il a eu outre-Manche plusieurs décennies pour acquérir. En interview, Jonathan Dove expliquait comment il en était venu à composer pour des amateurs rassemblés en grand nombre sur une scène, et comment il était passé de ces community operas où les habitants d’une ville se racontent à des œuvres inspirées de sujets moins locaux et plus universels. De l’auberge espagnole initiale, vaste fourre-tout où devaient trouver place tous les volontaires présents sur les lieux, on est heureusement passé à des œuvres plus strictement cadrées peut-être, et où la présence d’amateurs n’évoque pas un joyeux foutoir, mais bien une participation à la création d’une œuvre d’art.
Si Le Monstre du labyrinthe a connu un grand succès depuis sa création à Berlin en juin 2015 (en version allemande), suivie d’une création britannique (Londres, juillet 2015), française (Aix-en-Provence, quelques jours plus tard) et chinoise (Taïwan, octobre 2016), cela vient d’abord et incontestablement des mérites musicaux de cette partition. Tout en refusant explicitement le modernisme de l’avant-garde, Jonathan Dove n’en bascule pas pour autant dans l’imitation des compositeurs du passé ; tout en écoutant agréable à écouter, sa musique n’en est pas moins puissante et de notre temps, avec une utilisation saisissante des percussions et des cuivres, tout en renouant avec cette inspiration maritime qui a toujours souri à ses compatriotes.
Cette partition efficace et chaleureuse est, pour la France, portée depuis le 8 juillet 2015 par la production signée Marie-Eve Signeyrole. Par une coïncidence étrange, elle est proposée à Paris pendant la Coupe du monde de football, alors que l’une des points de départ de la mise en scène est précisément l’exploitation des ouvriers immigrés au Qatar pour la construction du stade qui sera utilisé en 2022… Cette idée discutable n’apparaît finalement pas trop dans le spectacle et, à moins d’avoir lu la note d’intention, on peut ne pas la discerner. L’actualisation du propos souligne que le mythe peut encore nous parler, comme le souhaite le compositeur, et les costumes actuels, ou l’usage ponctuel d’accessoires comme les barrières métalliques, ne font nullement obstacle à une certaine qualité intemporelle de la fable. Surtout, on est subjugué par l’extraordinaire talent avec lequel la metteuse en scène sait faire bouger la foule présente sur scène (les chœurs d’adultes, d’adolescents et d’enfants totalisent environ deux cents personnes) et créer, avec la complicité de son scénographe Fabien Teigné, des images frappantes avec parfois très peu de choses, comme ces petits bateaux en papier que laissent sur scène les enfants enveloppés dans leur cape rouge.
© Ugo Ponte / ONL
Le chef Quentin Hindley dirige avec une rigueur souriante et complice ces effectifs pléthoriques préparés par quatre chefs de chœur et un chef de chant, foule chantante à laquelle s’adjoignent les membres de l’Orchestre de chambre de Paris complétés par des étudiants de Lille et de Boulogne-Billancourt, pour un total de « seulement » quarante-six instrumentistes.
Face à tout ce monde, un acteur et trois chanteurs. Miloud Khetib confère une force terrible aux paroles impitoyables de Minos, tyran qui exige son tribut de chair humaine, son tribut de jeunesse et d’espoir. Des trois chanteurs, le baryton Damien Pass est le moins sollicité, en Dédale enfermé dans son propre labyrinthe. En mère de Thésée, à laquelle échoit un beau monologue pathétique, la mezzo Pauline Sabatier se révèle malheureusement trop peu audible : on entend mieux ses aigus que ses graves, mais on capte mal le texte. Damien Bigourdan est en revanche un Thésée modèle, avec toute l’insolence et la clarté voulues dans son interprétation d’un héros ordinaire, même si le véritable héros de cette œuvre, c’est évidemment le chœur.