En janvier 2017, Ludovic Tézier, accompagné au piano par Thuy Anh Vuong, offrait au public du Palais Garnier un bouquet de mélodies sous prétexte d’invitation au voyage. Dix-huit mois plus tard, le Festival de Paris affiche le baryton et la pianiste dans un programme quasi identique. Mêmes artistes, mêmes pages mais autre lieu, insolite dans le parcours du mélomane parisien, le salon Gustave Eiffel au premier étage de la Tour Eiffel, et autres impressions. Est-ce l’intimité de la salle (une centaine de places), la proximité avec le public, la vue panoramique, la douce clarté d’un crépuscule d’été, la victoire l’après-midi de l’équipe de football coréenne mais l’on sent le baryton sinon détendu du moins serein. On perçoit surtout de manière accrue l’aura magnétique de la voix, ample, puissante, imposante. Non le son – ces pièces ne supporteraient pas une démonstration de force – mais la possibilité du son. Ludovic Tézier sait hausser le ton à bon escient, lorsqu’en bis « Les berceaux », ce poème de Sully Prudhomme mis en musique par Fauré, autorise le déchainement des passions ou que la « Chanson du duc », l’une des Quatre Chansons de Don Quichotte*, impose de fanfaronner. A l’inverse, c’est d’une voix blafarde que s’épanchent les trois Schumann, « In der Fremde » teinté de nostalgie, et deux des Lieder, parmi les plus dépressifs, de Dichterliebe : « Hör ich das Liedchen Klingen », réfléchi, douloureux ; « Ich hab’ Im Traum geweinet » sinistre et désolé. Rien n’est plus fascinant que ce passage permanent d’un registre à l’autre en une large palette de couleurs qui fait le chanteur peintre de notes, où le bistre du grave coudoie le pastel d’un aigu que l’on sent parfois fragile.
« Erlkonig » demeure habité en un récit haletant où la dernière note, glacée, tombe comme un couperet. Dans ce répertoire de la mélodie où le chanteur est soit acteur, soit conteur, Ludovic Tézier a choisi son camp. Pourtant, c’est dans L’Horizon chimérique que, cette fois, on le préfère lorsqu’à la magie du mot toujours juste et intelligible s’ajoute l’éloquence d’une musique dont Thuy Anh Vuong sait suggérer la puissance expressive.
Les bis forment une troisième mi-temps où le chanteur se départ de sa sévérité. Un semblant de complicité s’installe avec le public. Ludovic Tézier plaisante. Pour un peu, on l’appellerait Ludo, si notre Président de la République ne nous avait rappelé dernièrement le défaut de respect que trahit l’usage d’un surnom. Respect pour une Romance à l’étoile sculptée à même le marbre, droite, orgueilleuse, admirable et respect à l’autre bout du répertoire, pour « La Bohème », non de Puccini mais d’Aznavour, émouvante car inattendue, chantée d’un air doux et rêveur tandis qu’au loin, le Sacré-Cœur, juché sur sa colline, apporte une réponse visuelle aux paroles de Jacques Plante. On est heureux.
* A l’issue du concert, Dominique Gillet, petit-fils du compositeur Jacques Ibert, a fait don à la Bibliothèque National de France du manuscrit original des Quatre chansons de Don Quichotte (voir brève du 28 juin)