A rebours de sa réputation trash, le Vlaanderen Opera propose une Clemenza di Tito d’un classicisme consommé, propre à apaiser les contempteurs du Regie Theater, comme si Michael Hampe, le metteur en scène, avait voulu conformer sa vision scénique à la rigueur formelle du dernier opéra de Mozart. Au respect de la convention seria, avec découpages marqués entre numéros, répond un décor rythmé par portiques et colonnes où tentures pourpres et portes ouvertes sur le forum romain aident chacune leur tour à situer l’action. Rien dans le livret n’est contourné, tout est assumé jusqu’à l’incendie spectaculaire du Capitole à la fin du premier acte. Les costumes se détachent de ce cadre antique pour suggérer un empire plus autrichien que latin. Le geste se conforme aux situations du livret, sans que le mouvement ne semble téléguidé. Le naturel avec lequel on s’affronte, on manipule, on s’émeut ou on supplie n’est jamais pris en défaut, jusqu’aux mouvements de foule, fluides, ou à ces longues arias dont on ne ressent jamais la longueur.
Cette sévérité hiératique aurait pu finir par plonger la représentation dans une espèce de torpeur proche de l’ennui si la direction de Stefano Montanari ne s’employait à rendre le propos haletant. L’Orchestre et les Choeurs de l’Opera Vlaanderen suivent sans jamais cafouiller des tempi dictés par le drame plus que par une volonté absolue de rapidité. De la fosse, s’échappent des sonorités vives et toniques que l’on croirait produites par un ensemble baroque tandis que sur scène le chœur fait preuve d’une cohésion et d’une ferveur presque religieuse. Le Requiem n’est pas si loin.
© Annemie Augustjins
Dominée par l’interprétation d’Anna Goryachova en Sesto, la distribution est de celle qui vaut mieux par la somme des voix réunies que prises séparément. Ainsi, on pourrait trouver le soprano d’Agneta Eichenholz léger pour le rôle de Vitellia, regretter l’Annio trop effacé de Cecilia Molinari, le Publio encore vert de Markus Suihkonen ou remarquer en fronçant les sourcils que Lothar Odinius ne chante pas toujours juste. Mais qu’importent les vocalises raides et le trille absent : Titus existe en majesté et en maturité, Titus souffre, Titus pardonne et ces souffrances comme son pardon nous sont tangibles. Qu’importe un « Tardi s’avvede » dépourvu d’autorité et de sagesse ; Publio n’est qu’une silhouette. Qu’importe si « Tu fosti tradito » manque de conviction – le défaut de confiance peut être une clé d’interprétation d’Annio –, si les graves et le trille n’appartiennent pas au vocabulaire de Vittelia puisque l’ambition semble seule dicter la conduite d’un personnage acerbe qui peut se concevoir d’un bloc. Qu’importe puisque l’ensemble se tient, qu’Anna Goryachova offre de Sesto une composition aboutie, tant sur la forme que le fond, virtuose et déchirée, et que l’on fait la découverte d’une soprano comme Mozart les aime – et nous aussi –, à la voix fraîche et lumineuse : Anat Edri aujourd’hui Servilia, Suzanna, demain Illia, Pamina et plus si affinités mozartiennes confirmées.