Pour célébrer Bernstein le temps d’un week-end, en cette année de centenaire, ce n’est pas le New York Philharmonic, laboratoire historique des grands enregistrements du chef, que la Philharmonie de Paris a convié, mais le Los Angeles Philharmonic, héraut pétulant des expérimentations du compositeur. C’est que depuis les années Salonen, la formation californienne est devenue, dans les résistances tonales de la seconde moitié du XXe siècle, une sorte de référence, idéale pour faire justice à John Adams, aux musiques de films de Bernard Herrmann et, donc, à Leonard Bernstein.
Créés en 1965, dans une cathédrale éponyme du Sussex, les Chichester Psalms imposent d’emblée leurs accents extravertis. Commanditaire de l’oeuvre, le révérend Walter Hussey avait autorisé Bernstein à mettre « un peu de West Side Story » dans sa musique sacrée ; il a été entendu au-delà de l’imaginable. En une vingtaine de minutes, réparties en trois mouvements comptant chacun deux Psaumes, l’oeuvre alterne les passages choraux brillamment orchestrés et les solos dédiés à une voix d’enfant (ici un contre-ténor, l’excellent John Holiday), dans un sobre accompagnement où les harpes dominent. Mais ces écarts de moyens n’altèrent jamais le caractère foncièrement enthousiaste d’une pièce qui veut faire danser le boogie-woogie pendant les prières du soir.
Le contraste avec l’introduction démiurgique de la 9e Symphonie de Beethoven en est d’autant plus frappant que Gustavo Dudamel choisit un tempo lent, faisant méthodiquement se superposer les couches harmoniques, s’amalgamer les couleurs, se fondre les textures pour modeler devant nous ce qui ressemble un peu à la création d’un monde. Un monde qui n’est pas sans aspérités – la raucité bien sentie des violoncelles et des contrebasses sont ses gouffres et ses falaises. Mais un monde au fond bien ordonné, dont les élément entrent naturellement en harmonie les uns avec les autres : ainsi le léger diminuendo qui relie si parfaitement la fin du Molto Vivace au début de l’Adagio. Portée par un art extraordinairement abouti de la plasticité rythmique et un orchestre puissamment virtuose, cette 9e Symphonie va sa route à pas de géants, et ne bute même pas sur l’entrée du choeur dans le Finale. Il faut dire que les violoncelles avaient si bien énoncé leur thème quelques mesures plus tôt que le surgissement des voix semble ici, la chose la plus naturelle du monde. Cela tombe bien, car celles du London Symphony Chorus, profondes, intensément romantiques mais jamais tonitruantes, sont ici immanquables. Avec les solistes, le bonheur se situe presque au même niveau, grâce à la basse mordante de Soloman Howard, aux couplets élégiaques de Michael König, aux timbres si justement appariés de Jenifer Johnson Cano et de Julianna Di Giacomo, malgré, chez cette dernière, quelques stridences dans l’aigu. Sans effet facile, sans hystérie, mais gonflées d’une respiration ample et rassérénante, les dernières mesures provoquent d’emblée une standing ovation qui eût fait rougir Leonard Bernstein lui-même !