Comme toute grande institution culturelle, le Goethe Institut à Paris possède un auditorium de taille respectable, situé au sous-sol du bâtiment de l’avenue d’Iéna. Des concerts y sont régulièrement organisés, purement instrumentaux en général. Une fois n’est pas coutume : la première manifestation de l’année 2018 était un concert vocal, tout entier consacré à des compositeurs germaniques.
Comme l’explique en préambule le pianiste Grégory Moulin, le programme a été élaboré autour de Richard Strauss, auteur de la moitié des vingt pièces interprétées. La construction est d’une rigueur quasi géométrique, qui fait alterner les œuvres de Strauss avec des Lieder de la génération antérieure (Brahms), de ses contemporains (Wolf, Zemlinsky) ou de la génération suivante, dont l’esthétique s’inscrit dans le prolongement de la sienne (Korngold) ou ne s’inscrit pas encore en opposition radicale (Lieder de jeunesse d’Alban Berg). A chaque fois, deux mélodies de Strauss répondent à deux mélodies d’un autre compositeur, formant au total cinq blocs de quatre pièces. Le but est de constituer « un univers où des échos se créent entre les différentes mélodies », les échos en question pouvant être de nature mélodique, harmonique ou stylistique ; Grégory Moulin donne comme exemple le lien qui unit « Anakreons Grab » d’Hugo Wolf à « Die Georgine » de Strauss, puisque l’on y entend les mêmes accords dans les toutes premières mesures. Les enchaînements de situation, les échos thématiques ont également guidé le choix qui, sans exclure quelques titres bien connus, élude néanmoins les œuvres les plus rabachées, surtout chez Richard Strauss, pour aller puiser dans son catalogue depuis sa première incursion dans le genre (Acht Lieder aus Letzte Blätter, 1885) jusqu’à l’opus 69 (Fünf Kleine Lieder) paru en 1918.
Méthodiquement assemblé, ce programme reprend celui du disque Echoes through Space and Time (curieuse idée, soit dit en passant, que de donner un titre anglais à un disque qui chante exclusivement en allemand). Et la voix qui interprète tous ces lieder est celle de Claudia Moulin, l’épouse du pianiste. Après un passage par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, cette soprano luxembourgeoise se produit régulièrement sur les scènes : Mrs Ford dans le Falstaff de Salieri à Herblay en mai 2015, elle a été choisie la même année pour incarner le rôle-titre dans l’opéra de Dominique Gesseney-Rappo Carlotta ou la Vaticane, à Fribourg en Suisse. Plus récemment, elle a chanté Micaëla dans une Carmen participative montée à Bordeaux par La Fabrique Opéra. Confrontée cette fois à un tout autre répertoire, elle déploie une voix saine et une sensibilité certaine, et l’on suppose qu’elle a activement participé au choix des mélodies. D’où vient alors que sa prestation ne suscite pas tout l’enthousiasme que l’on aimerait ressentir ? Peut-être le chant est-il un peu trop couvert pour toucher davantage, et l’émission de notes un peu fixes dans l’aigu ne contribue pas à l’émotion. On pourrait souhaiter des couleurs un peu plus variées, un engagement personnel parfois plus perceptible. Peut-être Grégory Moulin gagnerait-il lui aussi à être parfois un accompagnateur moins discret.
On retiendra néanmoins quelques très belles réussites, comme le célèbre « Ruhe, meine Seele », et un intéressant éclairage sur des pages trop peu fréquentées, comme le séduisant « Sonntag » de Zemlinsky ou « Liebesbriefchen » de Korngold, qui rappelle un peu le Mariettas Lied de Die Tote Stadt. En réponse aux applaudissements chaleureux du public, le couple interprète en supplément « Breit’ über mein Haupt dein schwarzes Haar », bis cher à Jonas Kaufmann.