Un metteur en scène et son équipe ovationnés à la fin d’une représentation d’opéra, voilà qui est de plus en plus rare par les temps qui courent. C’est pourtant ce qui s’est produit à la fin de la première du Barbier de Séville sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, hier, mardi 5 décembre.
Renouveler le propos d’un ouvrage tant de fois représenté tient de la gageure, Laurent Pelly a relevé le défi avec panache en créant un spectacle à la fois original et intelligent. Au lever du rideau, le décor représente de gigantesques feuilles de papier à musique vierges, éparses sur la scène. Sur l’une d’entre elles, recourbée vers le haut, s’ouvre la fenêtre de Rosine dont la rambarde ressemble à une portée. Au deuxième acte, l’action se déroule sur un immense cahier de musique ouvert sur la partition de l’air de « La Précaution inutile » avec un piano assorti au décor et un tabouret pour seuls accessoires. Les personnages vêtus de noirs évoquent des notes de musique tout comme les feuilles mortes, noires également, qui tombent sur la scène pendant l’orage. Dans ces décors d’une grande sobriété, le metteur en scène français propose une direction d’acteurs inventive et précise. Pas un temps mort, pas un geste laissé au hasard dans ce travail d’une virtuosité ébouriffante qui montre que l’on peut à la fois jouer la carte de la modernité et plaire au public.
Dans la fosse Jérémie Rhorer fait écho à cet ouvrage d’orfèvre en proposant une direction enlevée, n’hésitant pas à brusquer les tempi jusqu’au paroxysme dans un final du premier acte éblouissant qui fait oublier une ouverture quelque peu prosaïque. Le second acte tout entier se maintient à ce niveau, à la tête d’un Cercle de l’Harmonie en grande forme le chef propose des ensembles d’une vivacité irrésistible, sachant ralentir le rythme pour laisser place à l’émotion quand il le faut ou faire éclater l’orchestre avec véhémence durant la musique de l’orage. Notons que la partition est donnée dans son intégralité avec toutes les reprises et l’air du ténor au dernier acte.
© Vincent Pontet
C’est une équipe de chanteurs / acteurs pour la plupart aguerris qui a été convoquée pour la circonstance. Florian Sempey retrouve en Figaro l’un de ses rôles fétiches qu’il interprète avec une aisance et une joie de vivre irrésistibles. Son personnage truculent et facétieux est un bonheur de tous les instants. La voix est sonore, la technique souveraine, les ornementations sont exécutées avec brio et une incroyable vélocité, le baryton connaît sa grammaire belcantiste sur le bout des doigts, mais il devra veiller à ne pas se laisser aller à en faire trop par moment au risque de malmener la ligne de chant. Nommée aux Victoires de la musique 2017 dans la catégorie Révélation artiste lyrique, Catherine Trottmann est une Rosine délicieuse au physique avenant. Elle campe une jeune fille volontaire pleine de malice qui illumine de sa voix juvénile au timbre délicatement ambré tout le second acte. Au premier, sa « Voce poco fa » appliquée n’a guère soulevé d’enthousiasme. C’est finalement Michele Angelini qui aura été la révélation de la soirée. Voix longue, aigus brillants et timbre ensoleillé voilà les atouts maîtres du ténor américain qui a conquis le public du Théâtre des Champs-Élysées, auxquels il faut ajouter une capacité à émettre des vocalises en rafale et un physique de jeune premier. Son « Cessa di più resistere » spectaculaire a mis la salle à genoux. Les deux clés de fa, Robert Gleadow et Peter Kálmán ont livré des prestations impeccables notamment le second pour son incroyable vélocité dans la seconde partie de son air « A un dottor della mia sorte ». Guillaume Andrieux et Annunziata Vestri, impayable Berta, complètent avec bonheur cette distribution ainsi que le Chœur Unikanti dont les interventions sont irréprochables.
Une deuxième distribution, destinée à mettre en avant les jeunes talents, est proposée en alternance.