Pour sa première production scénique de la saison, l’Opéra de Saint-Etienne propose Les Contes d’Hoffmann, dans une mise en scène coproduite avec plusieurs théâtres d’Italie et que l’on a déjà pu voir à Toulon en 2015. Pourtant, ce spectacle réserve son lot de (bonnes) surprises.
On pourrait reprocher à Nicola Berloffa de recycler un certain nombre d’idées glanées ici et là (rampe et rideau en fond de scène, théâtre dans le théâtre cher à Robert Carsen ; la cheminée qui sert de porte d’entrée aux personnages fantastiques, comme dans la Roussalka de l’ENO, jadis ; Cochenille devenu une femme, procédé exploité par Richard Jones dans sa propre production des Contes d’Hoffmann en 2011). Tout cela est néanmoins assimilé au sein d’un tout esthétique et cohérent qui inclut aussi quelques jolies suggestions, comme Olympia se produisant devant une assemblée d’automates semblables à elle, ou Antonia vivant comme face à un public et mourant un peu après chaque effort vocal. L’ensemble de l’action se déroule dans un décor unique, vaste salon bourgeois qui peut se transformer en taverne pour le prologue ou en lupanar pour l’acte de Venise, cadre familier où surgit avec d’autant plus d’impact l’inquiétante étrangeté.
C’est néanmoins sur le plan musical que ces Contes stéphanois séduisent surtout, en sortant résolument de la routine. On ne saurait trop remercier le chef David Reiland d’avoir imposé la version Kaye qui, pour ne pas refléter les découvertes les plus récentes de la musicologie, a le mérite de chercher à rendre son visage au testament offenbachien, transformé par les interventions successives de messieurs Guiraud et Gunsbourg. Il est ainsi permis d’oublier la trop critiquable version Choudens, celle-là même dont notre collègue Maurice Salles regrettait qu’elle ait été donnée à Toulon. Le résultat est un opéra bien plus long qu’à l’accoutumée, avec une « version longue » de quantité de passages abrégés par une mauvaise tradition, comme par exemple le monologue par lequel le docteur Miracle insinue son poison dans l’esprit d’Antonia, dont la moitié des vers avaient été supprimés après la mort du compositeur.
R. Brémard, F. Conrad, C. Ghazarossian, F. Laconi, L. Roche © DR
Une autre excellente surprise, mais à laquelle l’Opéra de Saint-Etienne nous a plus ou moins habitués, c’est la distribution entièrement francophone. Cela n’a l’air de rien, mais c’est un luxe par les temps qui courent, luxe particulièrement rare dans la capitale. Qu’il est doux de n’avoir jamais la tentation de consulter le surtitrage !
Dans un rôle qu’il fréquente depuis plusieurs années, Florian Laconi s’impose avec un naturel et une insolence admirables, et il faut saluer une diction exemplaire dont on ne perd pas une syllabe (écoutez entre autres ses R, ni grasseyés ni véritablement roulés, mais parfaitement projetés). Le comédien s’avère convaincant, en particulier dans toute la première partie comique du spectacle ; le chanteur ne semble nullement éprouvé par la longueur du rôle dans l’édition Kaye, et on ne trouvera guère à lui reprocher qu’une tendance à aborder quelques aigus par une sorte de glissando menant à la note, ce qui n’enlève rien à une fort belle performance.
On était assez impatient de découvrir notre compatriote Fabienne Conrad qui, pour s’être produite à Rouen en 2014 dans ce même quadruple rôle féminin, est encore trop peu présente sur les scènes françaises. Trop peu, car cette belle artiste a de nombreux atouts à faire valoir, à commencer par une voix qui se plie à merveille aux différentes incarnations : malgré une méchante laryngite, son Olympia s’aventure volontiers dans le suraigu, sans que les autres héroïnes manquent de corps (un peu plus de consonnes ne seraient pas malvenues dans les moments les plus lyriques). Espérons que la fréquentation de rôles exigeants – la soprano annonce Norma et Tosca dans un avenir proche – sera sans conséquence fâcheuse.
Le froid qui s’est soudain abattu sur notre pays avait fait une autre victime : Laurent Alvaro termine la soirée avec une voix sensiblement réduite, qui l’oblige hélas à donner en falsetto l’aigu final de « Scintille, diamant » (curieusement maintenu alors que cet air est un ajout datant du début du XXe siècle). Le baryton dispose néanmoins de belles réserves dans le grave, et peut compter sur un solide métier pour composer quatre « diables » nettement caractérisés, notamment un Miracle insinuant, aux sourires carnassiers, ou un Coppélius aux allures de rabbin.
En muse-Nicklausse, Lucie Roche offre un beau timbre de mezzo, où l’on souhaite seulement que, les années passant, l’aigu s’épanouisse avec la même rondeur que le grave. Crespel offre à Luc Bertin-Hugault l’occasion de déployer les richesses de sa voix de basse, tandis que Guilen Goicoechea confirme les promesses de son Ramiro nancéen. Tous les autres personnages sont correctement tenus, le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Saint-Etienne livrant eux aussi une prestation méritoire.