Une double révélation mais un rendez-vous manqué : le bilan du 450e anniversaire de la naissance de Monteverdi serait-il donc à la fois exaltant et frustrant pour les admirateurs du Couronnement de Poppée ? Le Néron de Kangmin Justin Kim et la Poppée de Suzanne Jerosme, époustouflants d’engagement et de justesse, ne se sont malheureusement jamais étreints, dominant des partenaires estimables mais de moindre envergure (Hana Blazíková et Riccardo Angelo Strano), lui en tournée avec John Eliot Gardiner elle au Théâtre d’Aix-la-Chapelle sous la direction de Justus Thoreau. Nous nous sommes donc pris à rêver en apprenant que le jeune contre-ténor américain Ray Chenez allait remplacer son collègue italien à Aix pour deux représentations, les 22 et 29 octobre.
Découvert à Versailles en 2015 dans le Catone in Utica de Vinci monté par Max-Emanuel Cencic, Ray Chenez y revenait la saison dernière pour une double performance (Amore et Nutrice), absolument épatante, dans L’Orfeo de Luigi Rossi auquel Raphaël Pichon redonnait tout son lustre. Son mezzo fruité a mûri, le médium s’est étoffé et Néron retrouve avec lui une densité, un poids aussi bien vocal que dramatique, dont le privaient le frêle organe et la composition déroutante de Riccardo Angelo Strano.
Suzanne Jerosme © Wil van Iersel
S’il reprend le costume imaginé pour cette production, Ray Chenez, qui a fait ses débuts en Néron l’été dernier à Bielenfeld, a manifestement une autre conception du rôle, loin de la créature fuyante et maladive incarnée par son prédécesseur. Le jeune empereur recouvre son autorité et sa superbe, rétablissant ipso facto les rapports de force entre les protagonistes : il tient tête à Sénèque et rivalise d’éloquence avec Poppée, l’équilibre des voix, juvéniles et charnelles, assurant la plénitude fusionnelle de leur échanges. Leur troisième duo, avant les adieux d’Octavie, revêt une beauté inouïe, son thème obstiné traduisant comme jamais l’exaltation des amants qui s’abandonnent l’un à l’autre (« En toi toujours perdu/e, je me retrouverai »). On a voulu en faire des monstres, on les a noircis ad nauseam et récemment encore une mise en scène hystérique transformait Néron en serial killer quand Busenello et Monteverdi s’attachent à rendre palpable la sensualité d’une passion dévorante et implacable.