Un concept éculé, une partition tronquée et un choix esthétique à contresens… Il ne reste pas grand chose à sauver de la nouvelle production de Pelléas et Mélisande à la Komische Oper de Berlin.
Barrie Kosky a pourtant un métier aguerri et une capacité à transformer ses chanteurs en acteurs investis. Cette production est par ailleurs de belle facture, avec semble-t-il des moyens limités et un décor minimaliste. Sur quatre plateaux tournants et autant de petits cadres de scènes, les personnages d’Allemonde défilent comme des marionnettes. Quant à savoir qui tire les ficelles, on ne le comprendra qu’à la toute fin lorsque Golaud revient dans la même position qu’il occupait aux premières mesures de l’opéra. Nous étions donc dans son souvenir coupable et dans une lecture psychologique avec son lot de tics et de tocs dont on affuble les personnages dans ce genre de cas, sans oublier une direction d’acteur hystérisée. Rien d’original (surtout sur une scène berlinoise) et un contresens dans lequel les chanteurs vont s’engouffrer, joignant à la frénésie scénique un chant très expressionniste.
© Monika Rittershaus
La Mélisande de Nadia Mchantaf a déjà tout faux dès sa première réplique. Toute la soirée, elle sera au devant de son personnage plutôt que dans le respect scrupuleux et modeste de l’écriture de Debussy. Quelques maniérismes, rires ajoutés et autres borborygmes finissent de défigurer le portrait d’une jeune fille vulgaire malgré sa pléthore de robes. Nadine Weissmann s’exprime dans un Français intelligible, possède la voix et les notes de Geneviève, mais il lui manque encore l’instinct qui transforme l’exercice difficile de la lecture de la lettre en moment d’anthologie. Jonathan McGovern (Pelléas) ne démérite pas, surtout quand il lui faut passer un orchestre qui a décidé de rivaliser avec les climax wagnériens. Le timbre et les harmoniques conviennent bien au portrait du jeune homme, l’interprétation reste, elle, assez monotone. Jens Larsen (Arkel) dispose du volume et de la noirceur nécessaire au portrait du patriarche mais des voyelles exotiques et un phrasé appuyé sabotent toutes ces qualités. Samuli Taskinen (le médecin) peine à imposer son personnage, la voix restant dans la gorge. Pour Yniold, le choix de faire appel à un soliste du chœur d’enfants aurait pu être séduisant. David Wittich possède déjà une belle aisance scénique. Las, on ne peut passer outre une prononciation javanesque et une justesse trop approximative qui viennent ruiner l’angoissante scène du troisième acte. Günter Papendell enfin, domine la distribution d’un français irréprochable, liaisons comprises. Son timbre mat et un volume conséquent conviennent au Golaud torturé, sanguin et violent voulu par la mise en scène.
Jordan de Souza conduit au diapason de l’esthétisme expressionniste du metteur en scène et renforce les travers d’une partie de la distribution. Pourtant, on est d’abord intéressé par ses soudaines irisations et ébullitions, d’autant que le travail sur les couleurs est de qualité. Les cordes, incisives ou suaves, sont la cheville ouvrière d’une lecture précipitée de l’œuvre, la plus rapide qu’il nous ai été donné d’entendre… avec son lot de conséquences sur la diction d’une distribution non francophone. Puis au fil de la soirée, on se lasse et l’on s’agace de ces éruptions qui tirent Debussy vers un dramatisme formel dont il nous semble pourtant éloigné. Surtout on s’interroge sur la décision (prise avec le metteur en scène ?) de revenir à la version originelle de Pelléas, sans les interludes donc. Seul soulagement, la soirée s’en trouve écourtée alors qu’on comptait sur les doigts d’une main les instants de plaisir.