De la production d’Emilio Sagi, commentée en long, mais surtout en large (vu le dispositif scénique) lors de sa création et de ses reprises à Pesaro, il n’y aura guère davantage à dire. Les bains de Plombières se résument toujours à un deck en bois blanc, quelques chaises-longues et tabourets blancs. Tout le monde revêt le même peignoir blanc. Les chœurs, en blouse blanche, sont assurés par les solistes à tour de rôle et personne n’y comprend plus rien ! Qui est qui, qui fait quoi… le livret, déjà simple esquisse de personnages et de situations, prétexte à numéros virtuoses, n’y gagne aucune lisibilité. Heureusement les facéties de la direction d’acteur égayent chaque scène au diapason de la musique virevoltante de Rossini. Mention spéciale pour ce Charles X enfant qui dévore un sandwich et un jus d’orange lors du final tout en se moquant de nos curistes : « che pazzi ! »
Néanmoins, il faut reconnaitre que cette production, malgré ses limites, sait faire naître un véritable esprit de troupe parmi les interprètes réunis par le Liceu. Une troupe homogène qui se hisse aux meilleurs canons belcantistes. Les seconds rôles, Tamara Gura (Modestina truculente), Marzia Marzo (Maddalena faussement sérieuse), Carles Pàchon (Antonio), Benat Egiarte (Zefirino) s’amusent autant sur scène qu’ils s’intègrent vocalement entre les grands numéros des vedettes du soir. Pietro Spagnoli tire profit de la clémence rythmique du chef pour proposer un travail très intelligent sur le legato afin de croquer les accents de la tirade de Don Profondo. Carlos Chausson, basse franche et puissante, campe un Trombonok aussi jovial qu’autoritaire. L’espagnol Manel Esteve joue à domicile en Don Alvaro et son salut patriotique du deuxième acte est accueilli avec une chaleur non feinte par un public pourtant catalan. Il ne dépareille pas lors de sa confrontation vocale avec Lawrence Brownlee, grand triomphateur de la soirée aux aigus lumineux, aux vocalises virtuoses et au charisme scénique évident. On comprend que Melibea soit torturée entre les deux rivaux. Maité Beaumont en fait un personnage suave et tout en ambiguïté que son timbre soyeux et une ligne claire dépeignent de belle manière. Des qualités qu’elle partage avec Roberto Tagliavini (Belfiore), dont le timbre à la douceur de jais paré de riches couleurs donne vie à l’amoureux Lord Sidney. Taylor Stayton confirme, après un Almaviva convaincant à Glyndebourne, qu’il est un ténor léger solide, pourvu d’un aigu facile et chaleureux. Des trois sopranos, c’est malheureusement Corinna qui apparaît en retrait. Irina Lungu, voix corsée et davantage habituée à un répertoire plus lourd, s’égare un rien et peine à maintenir les lignes aériennes des élégies de la poétesse. L’aigu, trop souvent émis forte, se blanchit dès que la demi-teinte est négociée. Sabina Puertolas prête toute sa verve, la générosité de variations extrapolées à l’aigu, des notes piquées et des trilles à foison à une Folleville déjantée en scène. Seuls ses graves se disjoignent quand elle ose des écarts trop brusques dans ses vocalises. Ruth Iniesta (Cortese) est simplement irréprochable : vocalises aisées, abattage, timbre et aigu rayonnant.
@ A. Bofill
Un tel niveau de belcanto trouve son garant chez Giacomo Sagripanti. Sa gestuelle rigoureuse et précise contrôle tout autant les pupitres de l’orchestre, les crescendos et les ruptures de tempo que les nuances mêmes de ses solistes. La texture de l’orchestre est toujours légère, diaphane quand nécessaire. Les tempi retenus s’aventurent dans des vitesses parfaitement rossiniennes. Voici donc un fait d’arme supplémentaire après ses apparitions remarquées à Paris (Werther et Le Barbier de Séville) entre autres. Et pourquoi pas un pari jeune et audacieux pour la succession de Philippe Jordan ?