Créée à Malte en 2015, sous la direction musicale de Philip Walsh, cette joyeuse production du chef d’œuvre de Donizetti par Denise Mulholland, correspondait idéalement à ce que Belle-Île souhaitait présenter à la salle Arletty pour cette saison inscrite sous le signe de l’amour. Metteur-en-scène d’origine écossaise et chanteuse, formée à Londres, détentrice de nombreuses récompenses et riche d’une carrière internationale, Denise Mulholland est actuellement directrice du Théâtre national de la Jeunesse à Malte. Avec elle, le livret de Felice Romani inspiré de celui d’Eugène Scribe pour Le Philtre d’Aubert prend un sacré coup de jeune. On saute du XIXe siècle aux années 1950, en plein boom économique et on quitte la campagne pour une villégiature de rêve sur la côte amalfitaine. Cela n’est pas sans conséquences sur l’impact des personnages et sur leur relations. La propriétaire d’une pension au bord de la mer (Adina) ne se conduit pas exactement comme une fermière. Un ancien escroc du marché noir (Dulcamara) n’agit pas tout à fait comme un camelot de village. Un bel officier de marine arrogant (Belcore) n’a pas la même force comique qu’un sergent entreprenant. Avec la bousculade d’une folle jeunesse entourant Giannetta devenue femme de chambre, la séance de lecture de Tristan et Iseult par Adina et les apparitions hilarantes de Belcore et de Dulcamara ont une portée moindre. En revanche, où qu’il se trouve et quoi qu’il fasse, le personnage de Nemorino demeure exclusivement habité par sa passion amoureuse.
Depuis l’ouverture gazouillante et dansante, la musique avec son alternance de gaité et de mélancolie, ses chœurs guillerets, ses morceaux de bravoure, ses duos et ses cavatines conserve tout son charme. Donizetti a parfaitement réussi la synthèse entre l’opéra buffa italien et l’opéra comique français. Finement mais fermement conduit par Philip Walsh, le petit orchestre est éblouissant. Notons qu’au deuxième acte quelques effets scéniques surprenants réglés au cordeau et bien en phase avec la musique font mouche.
Si les Jeunes artistes du festival s’en donnent à cœur joie sous la houlette de Lauren Urqhart (Giannetta), la jeune soprano Adéline Le Mer tire timidement son épingle du jeu dans le rôle d’Adina. Elle ne manque ni d’élégance ni de qualités vocales mais il faut attendre son dernier air « Prendi, per mi sei libero » pour qu’elle dévoile son potentiel. Le Belcore du baryton américain Jonathan Meyer, confirme ses qualités déjà appréciées dans Cosi fan tutte l’an dernier : prestance, projection, articulation. Quant au baryton italien, Emilio Marcussi, il démontre ici sa familiarité avec le style rossinien acquis notamment à l’Académie de Pesaro. Il possède la faconde et la technique du chant syllabique nécessaires pour camper un solide Dulcamara aussi bien dans sa cavatine « Udite, udite » que dans la barcarolle avec Adina « Io son ricco e tu sei bella ». Reste à dire combien nous avons apprécié le ténor américain Tyler Nelson. Velouté du timbre, puissance, phrasé impeccable… et surtout, engagement dramatique de chaque instant. Depuis son air d’entrée « Quanto è bella, quanto è cara » jusqu’à la fameuse romance « Una furtiva lagrima », sans le moindre cabotinage, Nelson se montre exceptionnel dans ce rôle qui lui va vraiment comme un gant. Les applaudissements enthousiastes qu’il reçoit à la fin du spectacle démontrent que le public en est conscient.