Certaines productions semblent poursuivies par le sort. C’est le cas de celle-ci qui a dû faire face aux annulations successives de trois des interprètes initialement annoncés pour les rôles de Posa, d’Elisabetta et de Tebaldo ! Malgré ces péripéties, le Royal Opera nous propose ce soir une belle reprise de son Don Carlo, créé en 2008 et repris une première fois en 2013. Pour ses débuts dans le rôle, Bryan Hymel campe un Infant d’Espagne ardent et sonore avec une homogénéité retrouvée entre les registres. Dans cette tessiture très centrale, la voix passe parfaitement la rampe. L’aigu est toujours aussi percutant, lui permet de surmonter sans efforts le difficile si naturel de l’acte de l’autodafé. Hymel se permet même de rajouter un contre ut à la fin de son duo avec Posa, et un autre à la reprise du thème à l’acte III : Verdi doit se retourner dans sa tombe, mais c’est diablement efficace ! Dramatiquement, le personnage est convainquant et sympathique, évitant la victimisation de certaines interprétations, et ses interactions avec les autres personnages sont particulièrement réussies.
Remplaçant Krassimira Stoyanova, Kristin Lewis offre de beaux moments, en particulier au dernier acte, avec de beaux sons filés dans son duo avec Carlo, et un aigu final tenu impressionnant. Le timbre est charnu dans la partie centrale, un peu plus aigre dans l’aigu. La composition dramatique est plus convaincante dans les scènes d’autorité (notamment avec Eboli ou Filippo) que dans les passages sentimentaux où son amour pour Carlo a du mal à se manifester concrêtement.
Remplaçant Ludovic Tézier, Christoph Pohl est un Rodrigo « de troupe », à la voix manquant de projection et au timbre passe-partout, mais se rachetant par sa musicalité et son intelligence. S’il parvient à convaincre dans ses solos, le baryton est beaucoup trop effacé dès qu’il doit chanter avec un de ses partenaires.
Ildar Abdrazakov produit l’effet inverse : les moyens sont importants, mais la caractérisation reste générique et l’émotion en deçà de ce que l’on est en droit d’attendre dans son long monologue (d’autant que la traduction italienne, trop prosaïque, ne rend pas justice aux différents sentiments du personnage).
Bryan Hymel et Christian Pohl © Catherine Ashmore
On passera sur la contre-perfomance de Paata Burchuladze en Grand Inquisiteur, à la projection devenue limitée et aux aigus précautionneux, et sans l’autorité fanatique nécessaire. De même, le Frère d’Andrea Mastroni, peu respectueux de la rythmique, semble essayer de sauver les meubles. Ekaterina Semenchuk serait une Eboli proche de l’idéal, n’était un timbre un peu banal, mais le chant est royal et l’interprétation juste. Le Tebaldo d’Angela Simkin (qui remplace Emily Edmonds) attire l’attention et l’on se dit qu’on tient là une artiste à suivre (son intervention en Voix du Ciel est moins remarquable pour cause de sonorisation excessive). Même constat avec l’excellent Comte de Lerme de David Junghoon Kim à la belle projection, au noble phrasé et au timbre intéressant. L’une et l’autre font partie du Jette Parker Young Artists Programme.
La direction de Bertrand de Billy laisse dubitatif. Le tapis orchestral est un peu plat, le chef français semblant rechercher une sorte de fondu entre les pupitres. Le tempo est souvent rapide, et à certaines occasion hors de propos comme l’arrivée guillerette du Grand Inquisiteur venu discuter des assassinats de Posa et de Carlo avec Fillipo. L’autodafé n’est pas en place sans que l’on puisse clairement établir les responsabilités entre des chœurs insuffisants (en nombre et en attention), une musique de scène inaudible alors qu’elle est supposée faire écho à l’orchestre, et une voix du Ciel horriblement amplifiée. Il faut dire que c’est l’un des rares moments discutables de la production, les chœurs couvrant la musique par leurs éructations diverses. La dernière partie compte en revanche de superbes moments et la tension dramatique ne chute pas du « Don Fatale » jusqu’au finale. La mort de Posa et la scène de foule qui la suit sont parfaitement réussies.
La production de Nicholas Hytner est élégante et intelligente, faisant défiler les scènes sans interruption ce qui contribue à la fluidité de la représentation : seul l’autodafé déjà cité déçoit un peu. Malgré des réserves d’importance, le spectacle vaut mieux que la simple somme des parties tant les interprètes nous offrent un travail d’équipe particulièrement soudée.