Que pour sa mise en scène de Médée, Marshall Pynkoski use largement du stroboscope de préférence à la bougie, on ne le lui reprochera pas. Que les toiles peintes de Gerard Gauci évoque un Piranèse revu par Walt Disney, ou même carrément un paysage fantastique à la Tim Burton, on ne lui en fera pas grief. Que les costumes de Michael Legouffe transforment tous ces messieurs en pirates des Caraïbes et parent les dames de robes taillés dans des tissus somptueux qu’on croirait empruntés à La Bayadère de l’Opéra de Paris, on ne s’en plaindra pas non plus. Non, ce qui gêne dans la production de l’unique tragédie lyrique de Charpentier présentée à Versailles par la troupe Opera Atelier Toronto, c’est l’alliance de deux modes de jeu difficilement compatibles : d’une part, une gestuelle empruntée à l’univers baroque, qui devient vite lassante par son caractère limité à deux ou trois mouvements récurrents (mains en l’air, en avant ou sur le côté), d’autre part, des attitudes empruntées à un théâtre psychologique « moderne » (corps qui s’effondrent, s’entrechoquent ou se plaquent aux murs…). On court beaucoup à travers la scène, parfois sans autre but que d’échanger les places entre les interlocuteurs. Médée remue beaucoup ses jupes, sans doute pour traduire son agitation intérieure, mais tout cela relève du procédé un peu trop flagrant et s’épuise vite. La chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg semble avoir déteint sur les chanteurs, dont certains sortent de scène avec des allures de ballerine ; agréable à regarder dans les divertissements, elle paraît néanmoins un peu fade lors de l’acte où Médée convoque les puissances infernales.
© Bruce Zinger
Du côté des chanteurs, on commence aussi à bien connaître l’équipe d’Opera Atelier Toronto, pour les avoir entendus à Versailles dans Persée ou Armide au cours des saisons précédentes. D’une magicienne, l’autre : Peggy Kriha Dye enchaîne les rôles-titres et donne à Médée les mêmes atouts qu’elle apportait à Armide. Certes, on a pris l’habitude d’entendre l’héroïne de Charpentier confiée à des voix plus denses d’authentiques mezzos (Sarah Connolly à Londres, Michèle Losier au TCE…), mais l’essentiel est de trouver une actrice apte à vivre son rôle avec l’ardeur nécessaire. Pas de problème de ce côté-là, la déclamation allant plus d’une fois jusqu’au cri, suivant les directives expressionnistes du metteur en scène. Seule la diction, pourtant travaillée, inclut encore quelques scories, surtout lorsque le débit s’accélère. Colin Ainsworth est un Jason au volume sonore appréciable, parfaitement à l’aise dans cette tessiture de haute-contre à la française ; il parvient en outre à conférer au personnage la mâle vigueur nécessaire au héros. Mireille Asselin est l’une des rares francophones de la troupe, et cela s’entend instantanément, malgré les efforts louables de ses partenaires en matière de prononciation ; à part au dernier acte, sa Créüse ne sort pas du cadre galant dans lequel le livret autorise à la borner, mais l’on apprécie chez elle la joliesse du timbre. Jesse Blumberg prête à Oronte une solide voix de baryton, et le Créon de Stephen Hegedus possède une belle noirceur.
Belle découverte avec le Chœur Marguerite Louise : bien que relégué hors scène comme c’est désormais trop souvent la pratique, cette jeune formation française parvient à conférer à son chant toute l’urgence dramatique qu’appelle la tragédie lyrique. Le Tafelmusik Baroque Orchestra accompagne toujours l’Opera Atelier lors de ses déplacements en France : on regrette que le chef David Fallis ait à nouveau fait le choix de couper le prologue, comme cela avait déjà été le cas pour Armide. Peut-être aussi, à certains moments, le continuo aurait-il gagné à être un peu allégé, mais il est heureux que notre répertoire trouve outre-Atlantique de tels défenseurs.