Deux heures en TGV rapprocheront bientôt Paris de Bordeaux. En attendant, les deux villes affichent à peu de jours d’intervalle Les Pêcheurs de perles. Il serait stérile de succomber à la tentation de la comparaison offerte par la proximité calendaire. Confirmons simplement qu’une version scénique est toujours préférable à une version concertante, si faible soit le livret de l’œuvre considérée – celui des Pêcheurs de perles a souvent été moqué pour sa pauvreté – et si indigente soit la mise en scène, ce qui n’est pas le cas de cette production de Yoshi Oïda créée à l’Opéra-Comique en 2012. Conçu sous forme de flashback autour du personnage de Zurga, son parti-pris nous avait semblé à l’époque discutable. A l’exemple de ces grands vins dont l’Aquitaine est prolixe, le temps a bonifié l’approche. Le balancement et la poésie des images – les barques flottant dans les cintres, les pêcheurs en fond de scène, le décor d’encre de Chine… – compensent la maigreur d’un propos qu’il est de toute façon difficile d’étoffer (seul Vincent Boussard à Strasbourg en 2013 était parvenu à changer en or le plomb dramatique).
La direction de Paul Daniel à la tête de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine n’est pas étrangère à cette révision de notre jugement. De la fosse, s’échappent en tâches vives les teintes imaginées par un compositeur certes âgé de 25 ans mais déjà virtuose dans le maniement de la palette orchestrale. Cette recherche permanente de couleurs ne néglige ni le sens du récit, ni l’ébriété rythmique. Est-ce un hasard si on relève plus que d’habitude les similitudes avec Carmen, partition de douze ans postérieure aux Pêcheurs de perles, et si on se surprend plusieurs fois à dodeliner de la tête, emporté par la musique comme si elle était signée Rossini ?
© Frédéric Desmesure
Passons sur les chœurs, surtout masculins, malmenés par la vigueur d’une écriture imitée, elle, de Verdi, et sur l’interprétation de Nadir par Sébastien Droy. Non que le ténor démérite mais la voix, moins puissante, peine à trouver sa place dans les ensembles. Le « coureur des bois » ne saurait se réduire à sa romance, « je crois entendre encore », si habilement soit alors négocié le périlleux équilibre entre les registres.
Basse d’origine arménienne, Jean-Vincent Blot chante Nourabad comme on roule des yeux pour effrayer les enfants. Le rôle, assez tendu, n’exige pas davantage. Tout autre est Zurga que trop de barytons ont tendance à tailler dans un marbre autoritaire d’une gouge étrangère à tout sentiment. David Bizic possède les qualités requises pour ne pas déroger à la règle : une voix solide et longue, une projection superlative, une diction affirmée… Sa proposition ne se satisfait cependant pas de ces seules qualités mais explore au troisième acte, d’un chant nuancé, des zones plus sensibles qui donnent à percevoir le cœur de l’homme sous le manteau du chef.
Ce troisième acte, articulé autour d’un duo d’une force dramatique supérieure aux autres pages de la partition, est souvent la pierre sur laquelle trébuchent les interprètes de Leïla, dépassées par une écriture qui requiert là un soprano d’une autre nature que les actes précédents. Nouvelle égérie du label britannique Opera Rara, Joyce El-Khoury dispose d’un médium suffisamment étoffé pour, dans cet ultime duo*, tenir fièrement tête à Zurga. Les aspérités du timbre peuvent ne pas séduire (l’enregistrement des Martyrs en faisait les frais, le disque étant plus intraitable que la scène sur ce point). Cette bravoure acerbe n’exclut cependant pas au deuxième acte une cavatine rêveuse posée sur le fil de la voix et ornée d’un trille délicat tandis que la science bellinienne des coloratures dans le finale du premier acte impose d’ajouter à son agenda il Pirata que Joyce El-Khoury chantera en version de concert, de nouveau à Bordeaux, la saison prochaine.
* le duo suivant « Ô lumière sainte » a été supprimé dans cette version bordelaise