Nouvelle venue sur le paysage parisien, la Seine musicale s’efforce de se tailler sa part du lion artistique depuis son ouverture. En témoigne cette audacieuse Die Schöpfung pensée en version scénique, en coproduction notamment avec la philharmonie de Hambourg, pour laquelle Carlus Padrissa a été appelé en renfort.
Une proposition scénique à la croisée des chemins entre une scénographie « son et lumière » et une tentative de théâtraliser le récit des sept jours de la création du monde. La palette habituelle de vidéos, d’accessoires et de costumes de la Fura dels Baus, tout droit sortie d’un film de science fiction kitsch, est bien au rendez-vous : comme cet aquarium où Adam et Eve batifolent ; comme ce bras articulé, qui permet de placer les chanteurs en surplomb de la scène ou de la fosse. Le collectif s’en servait déjà dans sa mise scène de la Flute enchantée à l’Opéra Bastille. Beaucoup d’images sont saisissantes et épousent l’épopée biblique. On regrette toutefois que le dispositif soit si bruyant, parasitant à de trop nombreuses reprises et le chant et l’orchestre. On regrette le rôle dévolu au chœur, ici groupe de réfugiés expulsés du paradis avant même la chute, déjà au monde pour assister à la naissance du couple primordial. On regrette ces textes grandiloquents ou tautologiques. Ces récits parallèles font concurrence à la musique et au théâtre même que Carlus Padrissa créait dans ces images nées des mots. On s’attendrira enfin de l’hommage rendu à Gérard Mortier lorsque son visage se dessine à la fin du sixième jour pendant que le chœur rend grâce au Créateur.
En fosse l’Insula Orchestra sous la baguette de sa cheffe et instigatrice depuis 2012, Laurence Equilbey, ne parvient pas à se hisser à la hauteur de l’ambition affichée par ce spectacle. L’évocation du chaos initial est pour le moins chaotique. L’amplitude des nuances oscille autour du mezzo-forte, rendant les tutti systématiquement fades. Les instruments solistes ne séduisent guère, ni la petite harmonie de l’aria de Gabriel au cinquième jour ni les cordes du récit de la naissance du couple par Uriel.
A l’inverse, le chœur accentus chatoie et déploie rondeur et unité dans chacun de ses pupitres. Seul un léger manque de puissance entache la prestation. Les trois solistes tiennent leur rôle avec élégance et semblent visiblement s’amuser à effectuer les acrobaties que leur demande la mise en scène. Pirouettes vocales irréprochables aussi de Mari Eriksmoen, dont le legato suit le fruit généreux du timbre, des qualités idéales pour la voix du Séraphin et la première femme. Martin Mitterrutzner affiche un métal assez sombre pour un ténor, ce qui sied bien à la magnificence et l’humanité d’Uriel. Daniel Schmutzhard hérite de la partie la plus complexe entre les imprécations terribles de Raphael et la douceur paternelle d’Adam. C’est ce dernier rôle qui lui convient le mieux. Ses évocations bibliques manquent encore de mordant.