Après Lyon en 2014 et avant Bergen, Le Vaisseau Fantôme mis en scène par Alex Ollé jette l’ancre à l’Opéra de Lille. Sans partager l’enthousiasme absolu de Fabrice Malkani à l’issue des représentations lyonnaises, il est difficile de ne pas se laisser emporter par le flot visuel d’une approche arrimée au livret. On a trop souvent reproché à certaines interprétations scéniques leur parti pris abscons et leur réalisation maladroite pour ne pas apprécier une lecture aussi limpide que spectaculaire. Dès l’ouverture, l’image du bateau gigantesque battu par les vagues, comme prêt à s’échouer dans la salle, est de celle que l’on n’oublie pas. Revers de la médaille, la faiblesse des éclairages imposée par la vidéo émousse les tensions entre protagonistes. L’esthétisme étant affaire de goût, on avoue aussi avoir été dérouté par des costumes d’un orientalisme étranger à l’univers de Wagner. Note d’intention lue, il s’agit de la transposition de l’intrigue dans le port de Chittagong, au Bangladesh, un des endroits les plus pollués du monde, surnommé « l’enfer sur terre » qui pourrait aujourd’hui accueillir les errances du Hollandais. Fallait-il vraiment actualiser le propos dramatique pour le rendre plausible ? Les émotions brassées par le roulis conjugué des mots et des notes ne sont-elles pas intemporelles ? Vaste débat que la proposition d’Alex Ollé continue d’entretenir. D’autant que ce deuxième niveau de lecture peut sembler sommaire si on le compare à d’autres approches plus psychanalytiques (Alexander Schulin au Wagner Geneva Festival en 2013 s’il faut n’en citer qu’un).
© Frédéric Iovino
Le plateau est dominé par le chant incisif et hargneux de Simon Neal dont les quelques erreurs d’intonation participent au dessin à l’encre noire d’un Hollandais privé de sentiment, obstinément rivé à sa quête de salut. Appelée au dernier moment pour remplacer Catherine Naglestad souffrante, Elisabet Strid met à l’épreuve dramatique son soprano encore lyrique, d’autant plus fragile que le baryton de son partenaire est d’acier. La fraîcheur du timbre et la lumière de la voix lorsqu’elle s’élève sur la portée compensent l’ampleur et la profondeur incandescente auxquelles nous ont habitué les grandes titulaires du rôle. En Erik, David Butt Philip privilégie l’impact d’un chant solide non exempt de duretés, au détriment d’une écriture encore imprégnée d’opéra italien. Plus que le Daland étonnamment juvénile de Patrick Bolleire, les seconds rôles s’imposent, qu’il s’agisse du Pilote de Yu Shao, mozartien comme il se doit par le tracé élégant de la ligne, ou de Deborah Humble, finaliste de l’International Wagner Competition à Seattle, qui n’a pas besoin de jouer des coudes pour pousser Mary sur le devant de la scène.
Les chœurs masculins répondent mieux que leurs homologues féminins aux impératifs mouvementés de la partition. La cohésion massive de leurs interventions doit beaucoup à la direction d’Eivind Gullberg Jensen, remarquable tant en termes de précision que d’équilibre. Cette interprétation raisonnée, combinée aux couleurs claires et aux bois diserts de l’Orchestre national de Lille, rappelle s’il était nécessaire ce que le jeune Wagner doit encore à Weber. Prochaines représentations les 4, 7, 10 et 13 avril.