Les cinéphiles connaissent Pierre, les mordus de musique contemporaine, Irvine, mais connaissez-vous Jake Arditti ? Ne cherchez pas trop loin, car c’est tout simplement le fils du célèbre violoniste. Il fait ses débuts sur scène comme soprano – incarnant, à onze ans, Yniold à l’ENO et à Glyndebourne – puis devient contre-ténor, se formant à la prestigieuse Guildhall School et au Royal College of London avant d’arriver en finale du Concours Cesti à Innsbrück en 2012. Actuellement à l’affiche d’Agrippina à l’Opéra d’Anvers, il s’y produisait également ce jeudi en récital dans un florilège 100 % haendélien qu’il avait déjà rodé dimanche après-midi au foyer de l’Opéra de Gand, en compagnie de l’Ensemble Apotheosis en formation chambriste (traverso, violon et violoncelle) et dirigé depuis le clavecin par son directeur Korneel Bernolet (Prix du Jeune Musicien 2014 de l’Union de la Presse Musicale Belge). Cet élève de Gustav Leonhardt et Christophe Rousset, pour lequel il fut chef de chant et assistant sur plusieurs productions lyriques, s’exprimait également en soliste dans une version à la fois superbement architecturée et très finement ciselée de la suite en sol mineur du Saxon, le souffle poétique de Stefanie Troffaes (traverso) illuminant pour sa part la sonate en trio op 2 n°1.
Le 26 mars, au Royaume-Uni, c’est la fête des mères et Jake Arditti dédicace « Col saggio tuo consiglio » (Agrippina) à la sienne qui, nous assure-t-il, n’a rien à voir avec l’intrigante Romaine. La partie de Narcisse dans le même opéra, fort courte, nous avait laissé un goût de trop peu et à lui aussi, apparemment, puisqu’il jette également son dévolu sur un autre numéro de Néron, « Qual piacer un cor pietoso », alors que la publicité autour du concert annonçait des cantates de Haendel rarement jouées. En vérité, de nombreux chanteurs, de Gérard Lesne à Marie-Nicole Lemieux, ont abordé Mi palpita il cor et si Jake Arditti sait faire preuve de délicatesse dans l’exquise sicilienne avec flûte obligée « Ho tanti affanni in petto », sa vocalité comme son tempérament y paraissent bridés quand, au contraire, ils s’épanouissent dans les extraits d’opéra qui composent l’essentiel du programme.
Les airs de Néron, rôle tendu et périlleux dont il a déjà affronté les pentes escarpées au festival de Göttingen (2015) et au Theater an der Wien (2016), flattent un métal solide et bien trempé ainsi que des aigus d’une puissance et d’un éclat peu communs chez les falsettistes, qui ne sont pas légion à pouvoir assumer des tessitures aussi élevées que celles de Néron, Xerse ou Sesto (Giulio Cesare). Rinaldo et Riccardo Primo appartiennent aussi à son répertoire et il interprète « Venti turbini », pris à un tempo modéré, et le fort bref, mais très nerveux « Atterrato il muro cada » sans partition, comme du reste tout le programme, le visage concentré, éminemment expressif. Jake Arditti habite tout ce qu’il chante avec une aisance souveraine, aussi bien dans la vocalise, particulièrement robuste, que dans la fulgurance dramatique et il possède une présence au magnétisme très personnel. Cependant, le voici qui repart déjà, sans même un bis et comme il est arrivé, l’allure décontractée et, sur les lèvres, ce sourire conquérant des jeunes premiers auxquels rien ni personne ne semble devoir résister. Apéritive mais nullement roborative, sa performance nous laisse une fois encore sur notre faim, mais c’est bien là le seul reproche que nous puissions lui adresser.