C’est une ovation sans fin que le public chauffé à blanc de la grande salle de la Philharmonie pleine à craquer a réservée à Anna Netrebko et Yusif Eyvazov à la fin de leur concert. En grande forme, les deux artistes ont proposé un programme d’airs et de duos choisis parmi les « tubes » les plus célèbres – pour ne pas dire les plus rebattus – du répertoire. Les amateurs de raretés en auront été pour leurs frais.
Entièrement consacrée à Verdi, la première partie commence par trois extraits de la Traviata : le prélude, suivi de l’inusable « Libiamo » que nos deux tourtereaux entonnent entre deux pas de danse, lui très élégant dans son smoking impeccable, elle, rayonnante dans une somptueuse robe rouge sombre. Ils sont si beaux à regarder qu’on en oublierait presque de remarquer qu’Eyvazov n’est pas le tenore di grazia au timbre suave que l’on attend ici et qu’Anna Netrebko ne varie pas suffisamment les couleurs dans un « Ah fors’è lui » chanté à pleins poumons avec une voix d’une insolence à toute épreuve. Voilà une Violetta pleine de santé et de vie, mais après tout on est au concert, pas au théâtre. L’ampleur de son instrument n’empêche pas la cantatrice d’exécuter impeccablement les redoutables vocalises de « Sempre libera » pour la plus grande joie des spectateurs. Quant au ténor c’est avec Manrico qu’il parvient à mettre le public dans sa poche. Après un « Ah si ben mio » un rien précautionneux, il nous offre un « di quella pira » spectaculaire, chanté dans le ton, avec ses deux couplets qu’il conclut par un contre-ut éclatant, longuement tenu. La salle exulte. Enfin, le grand duo du Ballo in maschera laisse entrevoir quelle belle Amélia Netrebko pourrait incarner un jour.
La seconde partie réserve quelques bonnes surprises, à commencer par l’exceptionnel « In questa reggia » proposé par la soprano qui, pendant l’intervention oubliable du mandarin, monte s’installer derrière l’orchestre. Là, dès qu’elle ouvre la bouche, sa voix résonne dans toute la salle avec un volume impressionnant qui va grandissant à mesure qu’elle redescend les marches jusqu’à l’avant-scène. Contrairement à d’autres, elle ne se contente pas, dans cette page, d’accumuler les décibels, elle orne sa ligne de chant de nuances bienvenues qui contribuent à distiller une émotion palpable. Les spectateurs s’enflamment et s’égosillent à force de crier bravo. Le ténor, quant à lui, campe un Andrea Chénier irréprochable, tant dans l’« improviso » que dans le duo final et un Canio convaincant avec un « Vesti la giubba » à la fois sobre et poignant. Voilà un répertoire qui met en valeur ses qualités vocales, dans lequel on le sent tout à fait à son aise comme en témoigne le « Nessun dorma » épatant qu’il offre en bis. De son côté la soprano agrémente son « O mio babbino caro » d’un point d’orgue qui se prolonge pendant plusieurs secondes sur l’aigu final, donné mezzo-forte. Tous deux tireront leur révérence après un « Non ti scordar di me » ravissant chanté à deux voix.
A la tête d’un Orchestre National de Belgique aux sonorités chatoyantes, Jader Bignamini propose de bout en bout une direction absolument remarquable au point de captiver l’attention dans des morceaux mille fois entendus comme l’ouverture de La forza del destino ou l’intermezzo de Manon Lescaut. Voilà qui est assez rare dans ce type de concert pour être signalé.