Ce n’est pas un secret, le principal attrait de ce Werther messin était la toute première incarnation du rôle-titre par un ténor français qui fait une belle carrière, notamment à l’étranger, qui chante un peu partout en France, mais beaucoup moins à Paris. De plus, et c’est un privilège qu’il partage avec finalement assez peu d’artistes, Sébastien Guèze fait l’objet d’une certaine adulation, il a ses fans inconditionnel(le)s qui le défendent bec et ongles. Une partie de cette fascination tient incontestablement à sa silhouette d’adolescent, qui fait de lui une sorte de Gérard Philipe ou de Tom Cruise lyrique. Mais le physique ne saurait expliquer un parcours qui l’a déjà conduit dans de très grandes salles d’opéra. A travers Werther, l’occasion nous est donnée de nous pencher sur le mystère S.G.
Peut-être est-ce le chef David T. Heusel qu’il faut remercier pour la discipline d’abord imposée au ténor : tout en pianos, avec une diction impeccable et une retenue admirable, Sébastien Guèze fait une entrée en scène de nature à rassurer ceux qu’avaient pu inquiéter par le passé une émission parfois peu orthodoxe ou des sons trop ouverts. De même, le dernier acte, cette très lente agonie, est parfaitement maîtrisé, la nuance forte en étant pratiquement absente. Car ne le cachons pas, c’est bien là que le bât blesse : dès qu’il doit quitter la douceur du murmure ou de la déclamation sereine, dès que la partition appelle des éclats, le ténor crie des aigus presque toujours trop hauts, perdant au passage toute netteté des consonnes. Et il est permis de s’interroger sur la manière dont sont négociés les différents « Appelle-moi ! » à la fin de « Lorsque l’enfant revient d’un voyage ». Par-delà les pardonnables incertitudes liées à une première interprétation d’un rôle lourd, il semble y avoir là un véritable problème de technique vocale, récurrent lorsque le chanteur dépasse le mezzo-forte.
Autour de Sébastien Guèze, trois autres chanteurs faisaient également leur prise de rôle. Peut-être les mélomanes canadiens viendront-ils entendre leur compatriote Mireille Lebel, et ils auront raison de faire le voyage, car cette mezzo régulièrement présente en France s’avère totalement adéquate sur le plan musical, et l’on soupçonne qu’elle aura beaucoup écouté Rita Gorr pour parvenir à une telle maîtrise du style. L’expérience du rôle l’aidera sans doute à mieux incarner les différentes facettes de Charlotte, à laquelle elle ne peut prêter pour le moment qu’une gestuelle assez convenue. Alexandre Duhamel campe ici son premier Albert, impressionnant de présence malgré un personnage sacrifié par le livret comme par la partition. De la soprano suisse Léonie Renaud, il faut bien dire qu’elle n’a pas du tout le timbre que l’on attend en Sophie : lui fait surtout défaut le sourire dans la voix qui correspondrait à son allure juvénile.
Contrairement à ce quatuor, Christian Tréguier est un habitué du Bailli, qu’il vit plus qu’il ne le joue. En entendant au premier acte le Schmidt vraiment trop léger d’Eric Mathurin, on regrette moins que tout le dialogue ouvrant l’acte II ait été coupé, même si le Johann de Julien Belle est de meilleure tenue. Curieux choix, par ailleurs, de faire de ces deux ivrognes un peintre et un poète.
Arnaud Hussenot © Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Ce n’est d’ailleurs pas la seule bizarrerie de cette production. S’appuyant peut-être sur la phrase de Werther « On lève le rideau, puis on passe de l’autre côté », Paul-Emile Fourny a eu l’idée intéressante de faire du héros le visiteur assidu d’un musée (avec son gardien et sa vieille visiteuse dont on devine qu’elle doit être Charlotte des années après), qui s’abîme dans la contemplation d’une toile intitulée La Maison du bailli, tableau de famille dans le goût Biedermeier – jolis costumes de Stella Maris Müller – dans lequel il finit par entrer pour interagir avec les personnages. Lors d’un départ pour le bal, une dizaine de danseurs et figurants envahissent le décor et multiplient les couples d’amoureux lors du clair de lune. Charlotte finit par traverser elle aussi le cadre, au moment où elle brave les convenances pour rejoindre Werther. Le héros mourant, dans la pose du Chatterton de Henry Wallis, s’inscrit dans un cadre plus petit. On a vu beaucoup d’opéras transposés dans un musée, ces derniers temps, mais cette variante-ci est assez convaincante, à l’exception du moment où Werther semble pris de délire et où Magritte se substitue à WaldMüller ou Menzel, Albert et les figurants adoptant la tenue de ces anonymes en imperméable et chapeau melon qui peuplent les toiles de Magritte, tandis que Sophie arrive en Printemps de Botticelli, munie d’une marguerite géante…
De la direction très apaisée de David T. Heusel, on soulignera qu’elle évite tout excès de sentimentalisme, ainsi que l’alanguissement particulièrement intolérable que certains chefs s’autorisent au dernier acte. Peut-être serait-il souhaitable néanmoins que l’orchestre s’emballe un peu dans certains passages, comme « J’aurais sur ma poitrine », qui gagneraient à être pris à un tempo plus allant.
Le spectacle sera présenté avec la même distribution et le même chef, mais avec des orchestres différents, à Massy les 24 et 26 février, puis à Reims les 19 et 21 mars.