La belle excentrique : c’est sous ce titre, repris d’une suite de danses de Satie, que Patricia Petibon et ses complices – l’excellente pianiste américaine Susan Manoff, l’accordéoniste David Venitucci et le metteur en scène Olivier Py devenu chanteur pour la circonstance – ont conçu un joyeux spectacle pour les fêtes, à mi chemin entre mélodie légère et music hall, tentant le grand écart entre les deux genres sans parvenir à convaincre vraiment ni dans l’un ni dans l’autre.
Ce sont les mélodies d’Eric Satie qui constituent l’épine dorsale de ce programme, pour une grande part tirées de l’enregistrement paru en 2014 chez Deutsche Grammophon. Structure bien maigre en vérité, émaillée d’incursions dans le domaine de la variété pure avec des chansons d’avant ou d’après la guerre (Fernandel, Jean-Yves Rivaud, Les Beatles, Léo Ferré), de mélodies françaises ou espagnoles, des recettes de cuisine de Bernstein et quelques autres…
Dans un décor noir et blanc d’inspiration constructiviste, robe mi longue en satin cramoisi et chapeau claque, la cantatrice mise davantage sur les éléments scéniques que vocaux, sans doute bien consciente de ses limites : l’instrument paraît instable, manque singulièrement de couleurs et la technique est bien sommaire. Qu’importe, elle nous livre un tour de chant haut en couleurs qui, à force d’accessoires de toute sorte, vire rapidement au burlesque, genre où son sens de la gouaille un peu canaille trouve à s’épanouir joyeusement. Les faiblesses de la voix sont compensées – pense-t-elle – par un discret système d’amplification, et elle n’hésitera pas à prendre la partition sous les yeux quand le texte devient trop difficile, masquant bien mal un manque de préparation.
En contrepoint, son complice Olivier Py pousse lui aussi la chansonnette et nous livre, de sa petite voix serrée, quelques chansons d’un réalisme très noir dont les textes provoquent rapidement l’hilarité. Visiblement mal à l’aise sur le plateau, l’expression réduite à quelques grimaces et déhanchements, la gestuelle étonnement répétitive, le metteur en scène fait la démonstration que le genre est plus ardu qu’on ne le croit, et qu’on ne s’improvise pas facilement chanteur.
Quelques moments de poésie, principalement dus à l’accordéon de David Venitucci, viendront heureusement interrompre tout ce joyeux débridement, et le grand professionnalisme de la pianiste Susan Manoff permettra d’en assurer la continuité musicale et d’en maintenir la cohérence, peu ou prou…
On s’étonnera cependant qu’une institution comme la Monnaie présente dans sa brochure-programme les chansons interprétées par Fernandel (par exemple) comme si elles avaient été écrites par lui, le plaçant dès lors sur le même pied que Bernstein, Poulenc ou Fauré, chacun appréciera.