La saison d’été à Vichy et ses 13e Rencontres lyriques et chorégraphiques européennes se sont terminées avec le petit opéra pour demoiselles de pensionnat d’Henri Purcell devenu le plus grand opéra anglais : Dido and Aeneas. Rien de certain sur les circonstances de création de ce drame miniature (l’ouvrage a été longtemps considéré comme une commande de Josias Priest, directeur d’un pensionnat de jeunes filles nobles), mais ce qui est sûr, c’est qu’il est bien adapté aux budgets de plus en plus contraints des maisons d’opéra, par sa brièveté, l’absence de machine et de décors (alors que c’est l’une des composantes essentielles de tout opéra baroque), la présence d’un petit orchestre, de chœurs simples et de rôles sans grandes difficultés.
Toutefois, Cécile Roussat et Julien Lubek se démarquent largement de cette approche. C’est donc une mise en scène digne du Cirque du Soleil qui nous est proposé à coup d’acrobates et d’effets spéciaux dont la féerie a été largement décrite dans le compte rendu des représentations rouennaises. Dans cette profusion de couleurs et de poésie, les interprètes doivent s’imposer pour se fondre dans cet univers mais surtout pour s’y révéler. Certains y parviennent à l’image d’une Katherine Watson brillante ; d’autres s’effacent au fur et à mesure de leurs apparitions. Cela est bien dommage s’agissant de Mireille Delunsch. Alors que la mise en scène la met pleinement en valeur (fini le livre d’images pour enfants : Didon est seule sur le plateau dans le noir le plus total) et que ces quelques pages démontrent un sens admirable de la plastique musicale et une façon à la fois intense et retenue d’exprimer l’émotion, nous sommes passée totalement à côté de ce que la soprano française a voulu délivrer en raison d’un chant peu expressif et de couleurs limitées.
A l’inverse, nous avions quitté Katherine Watson à Versailles sur un nuage, c’est désormais nous qui y sommes en la voyant évoluer dans le rôle de Belinda, fraiche et dynamique, avec pour atouts des vocalises claires et précises, une diction et une projection certaines ainsi qu’une présence scénique affirmée. Le duo des sorcières, bien qu’homogène, aurait mérité plus de finesse même s’il nous paraît difficile de formuler ce reproche à Caroline Meng et Lucile Richardot alors qu’elles se retrouvent toutes deux en lévitation à deux mètres du sol pour l’exécuter. Sans surprise, Cyril Auvity offre une prestation pleine d’intelligence dans la peau de la magicienne bien que sa voix ne se prête pas à la tessiture du rôle. La projection du ténor est radieuse et son engagement dramatique irréprochable. Seul Benoît Arnould souffre d’une mise en scène privilégiant une « incarnation des affects » du couple plutôt que les rapports psychologiques des personnages. La froideur de Didon serait-elle contagieuse ?
© Frederic Carnuccini
Ne pas en déduire cependant que le voyage à Vichy ne valait pas le coup car, du côté de la fosse, le spectacle est d’une splendeur et d’une excellence presque irréelles. Il est vrai que le placement du chœur derrière l’orchestre atténue grandement sa particularité. En effet, dans cet opéra, il commente le drame tout en y participant ; l’équilibre entre ses deux fonctions étant somptueusement réussi par Purcell. Mais peut-on réellement trouver les mots pour peindre avec exactitude la précision interprétative dont les choristes d’Accentus font preuve dans chacune de leurs interventions ? Dynamisme tout autant que souplesse, qualité expressive tant dans les respirations et les silences que dans les attaques, lignes mélodiques foisonnantes de sublimes nuances et de somptueux effets, homogénéité sonore et diction sans faille… Grâce au Poème Harmonique, la vérité et l’intensité de l’expression se déploient dès les premières mesures de l’ouverture alors qu’aucun effet de couleurs n’est possible, l’orchestre se réduisant à quelques cordes. Grand spécialiste du répertoire musical baroque, Vincent Dumestre n’hésite pas à s’éloigner de la partition en renforçant le continuo de deux guitares, donnant ainsi un charme supplémentaire indéniable, tout empreint de virtuosité. Comme quoi, Accentus et le Poème Harmonique prouvent que la féerie n’a parfois pas besoin d’images…