Le jeune Verdi, en ses années de galère, crayonne ses opéras comme autant d’esquisses des chefs d’œuvre à venir. Dans cette somme de partitions froissées, rageusement troussées ou au contraire trop appliquées, corsetées à force de ratures et de reprises, I Masnadieri ne se taille pas la part du lion. L’anecdote prend vite le pas sur l’analyse lorsqu’il s’agit de présenter cet ouvrage prévu à Florence pour être finalement créé à Londres en 1847. « Le pire opéra jamais représenté au Théâtre de sa Majesté », décréta la critique le lendemain de la création. Le jugement est sévère mais non dénué de fondements. Il faut, pour maintenir l’attention en éveil, se concentrer davantage sur les prémices du génie que sur les égarements d’une action dont on a du mal à suivre les motivations – si tant est qu’il y en ait. La faute à Andrea Maffei, moins librettiste que germaniste, contraint de découper le drame de Schiller en numéros comme un saucisson, s’empêtrant dans les ressorts de l’intrigue au point d’omettre les scènes dont Verdi aurait tiré le meilleur, telle la confrontation entre les deux frères ou ce concertato que l’on attend et qui n’arrive pas. Distribuer de jeunes artistes dans cet opéra de jeunesse, comme l’ose le Festival Verdi en collaboration avec le concours international des voix verdiennes et le Teatro Comunale de Bologne, c’est doubler la prise de risque, sauf à considérer l’entreprise comme un exercice scolaire, interprètes et compositeur assis ensemble sur les bancs de l’art lyrique, inexorablement embarqués dans la même galère.
Giovanni Maria Palmia (Carlo) et George Andguladze (Massimiliano) © Roberto Ricci
Une fois l’ancre jetée, il s’agit d’exercer ses armes vocales et scéniques sur un opéra certes dramatiquement maladroit mais conçu pour les plus grands gosiers de son époque. Défi relevé pour Marta Torbidoni confrontée au fantôme de Jenny Lind avec des moyens autres que le « Rossignol suédois » : des trilles, concédés par Verdi à profusion pour flatter la créatrice d’Amalia, dont la jeune soprano italienne s’acquitte d’une voix moins cristalline que veloutée ; de l’agilité aussi même si le vocabulaire belcantiste est encore limitée, une longueur confortable, des couleurs et une présence qui, paraît-il, n’était pas le point fort de son illustre aînée. Bref, un talent à suivre de près dans une catégorie vocale où il y peu d’élues car peu d’appelées. George Andguladze doit, lui, affronter un rôle destiné originellement au légendaire Luigi Lablache (dont l’imposante silhouette ne correspondait pourtant pas à celle supposée famélique de Massimiliano). Rude tâche également qui, dans le peu d’interventions imparties, laisse entrevoir un timbre sur lequel les années sauront déposer une couche de métal supplémentaire et l’expérience renforcer une autorité dramatique dont seuls les contreforts sont aujourd’hui visibles. L’autre basse de service, Pietro Toscano, expose le temps du bref duo entre le pasteur Moser et Francisco le travail qu’il lui reste à réaliser s’il veut un jour occuper le devant de la scène.
Le plus difficile pour les chanteurs dans ces opéras verdiens de jeunesse reste de concilier le crépuscule d’une écriture encore belcantiste et l’aurore des élans romantiques, la science du chant, avec ce qu’elle suppose de maîtrise et de contrôle, et une volonté de vérité dramatique avec ce qu’elle implique de naturel et de laisser-aller. Confrontés à ce dilemme, Giovanni Maria Palmia (Carlo) tout comme Leon Kim (Francisco) préfèrent aujourd’hui l’héroïsme de cabalettes furieuses à l’élégance des cantilènes, chacun avec des atouts et des faiblesses qu’il leur faudra apprendre à surmonter : le défaut d’intonation, dû peut-être au stress, et une absence d’aisance scénique pénalisante pour le ténor ; un manque d’italianité pour le baryton trahi par la couleur claire et métallisée de la voix mais aussi par la prononciation imparfaite de la langue italienne.
La direction de Simon Krečič contredit son jeune âge tant sa lecture ni trop fougueuse, ni trop affectée, parvient à dominer les inégalités de la partition et à trouver le juste équilibre entre fosse et plateau dans un théâtre grand comme une maison de poupée. Sous cette baguette prometteuse, le chœur et l’Orchestra dell’Opera Italiana offrent le meilleur.
La mise en scène de Leo Muscato a perdu en passant de Parme à Busseto ce qui, d’après notre confrère Jean Michel Pennetier, faisait son intérêt. Limitée par l’exiguïté de la scène, elle s’apparente davantage à une version de concert en costumes qu’à une représentation d’opéra, entrainant de la galère le naufrage.