Le retour de Samson et Dalila sur la scène de l’Opéra Bastille après 25 ans d’absence bénéficiait d’une distribution de haut vol, à même de remporter un franc succès : le directeur musical de la maison, un jeune metteur en scène de talent et une équipe de chanteurs aguerris, capables de défendre dignement la partition. Las, tout ne fonctionne pas toujours comme on l’espère et le spectacle pour passionnant qu’il fût, n’a pas tenu toutes ses promesses.
La faute en incombe en premier lieu au metteur en scène. Acclamé ici même pour son ébouriffant Barbier de Séville en septembre 2014, Damiano Michieletto, accompagné de son équipe, a été cette fois accueilli au salut final par une bordée de huées, sans doute excessive en regard de son travail somme toute honorable.
L’élément principal du décor de Paolo Fantin est un gigantesque parallélipipède à l’intérieur duquel se trouve une chambre à coucher art-déco. Autour, trois murs de briques grisâtres. Posée sur d’énormes plots au premier acte, cette chambre est fermée par des rideaux jusqu’à l’arrivée de Dalila. Au deux, elle est à même le plancher et représente le repaire de la jeune femme qui attend Samson. Au troisième acte, de nouveau surélevée, elle s’est transformée en une salle du trône dans laquelle apparaît, surplombant la foule, le Grand Prêtre vêtu comme un empereur romain, couronne de lauriers dorée sur la tête et manteau pourpre sur les épaules. Les costumes – contemporains et plutôt laids – sont faits de tissus aux teintes sombres et froides, gris, bleu marine, noir. Au premier tableau, on n’échappe pas aux soldats armés de mitraillettes, récurrents dans les mises en scènes modernes. Au deuxième acte, la robe claire de Dalila apporte une touche de gaité dans cet univers déprimant, tandis qu’au troisième, des figurants surgissent avec des portants sur lesquels sont accrochés des tenues aux couleurs vives qui évoquent l’antiquité, dont se parent les Philistins. On se croirait soudain dans un péplum des années cinquante.
La direction d’acteurs, rigoureuse, est loin cependant d’avoir la virtuosité de celle du Barbier, la bacchanale, très sage, au cours de laquelle tout le monde se trémousse sur le plateau, ressemble davantage à une rave party qu’à une orgie. En revanche la scène finale est tout à fait spectaculaire.
Dans le programme, Michieletto explique que selon lui, Dalila éprouve des sentiments amoureux pour Samson, d’où ses pleurs intempestifs au début du troisième acte, qui couvrent la musique, et son immolation par le feu à la fin. Pour originale qu’elle soit, cette théorie est en parfaite contradiction avec le livret qui nous peint une Dalila uniquement assoiffée de vengeance. Tout aussi incongru est le geste de soumission de Samson qui se coupe lui-même les cheveux à la fin du deux.
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Au pupitre, Philippe Jordan adopte une direction extrêmement analytique, faisant ressortir mille détails de la partition dans des tempi plutôt retenus à l’exception de la bacchanale prise à un train d’enfer. Ce parti-pris nous vaut un troisième acte de toute beauté. En revanche, à trop vouloir ciseler sa direction, le chef en oublie le théâtre. Toute la scène entre Samson et Dalila à la fin du deux, est privée de sensualité en dépit des efforts louables de la mezzo-soprano.
Finalement, ce sont les chanteurs, dont aucun ne démérite, qui feront le succès de la soirée à commencer par les chœurs, remarquablement préparés par José Luis Basso, dont chaque intervention est un bonheur. Les seconds rôles, John Bernard, Luca Sannai et Jian-Hong Zhao n’appellent que des éloges. Nicolas Testé est un Abimelech vaillant et tout à fait idiomatique, comme Nicolas Cavallier qui campe avec noblesse un vieillard hébreu de luxe. Tous deux possèdent de solides voix de basse. Le Grand Prêtre d’Egils Silins a toute l’autorité requise, le timbre est de bronze et la diction n’a rien à envier à celle de ses collègues francophones.
La diction est également l’un des points forts des deux protagonistes principaux. Le Radamès décevant d’Aleksandrs Antonenko à la fin de la saison dernière pouvait faire craindre le pire. Il n’en a rien été. Le ténor trouve en Samson l’une de ses meilleures incarnations. Doté d’une voix robuste, il laisse entrevoir une certaine fragilité au deuxième acte face à Dalila. Lui qu’on a parfois qualifié d’impavide, livre au début du troisième un air de la meule poignant où passe par instant l’ombre de Vickers, ce qui n’est pas un mince compliment.
Anita Rachvelishvili qui avait fait des débuts éclatants in loco la saison passée, en Amnéris confirme qu’elle est une immense chanteuse. La voix est ample, les graves profonds et sonores, les aigus opulents. Le timbre mordoré, riche en coloris entêtants est à même de traduire tous les affects de l’héroïne, tour à tour enjôleuse et perverse, manipulatrice et amoureuse. Les trois grands airs sont parfaitement différenciés. Une Dalila de grande classe.