L’annonce de son remplacement inattendu d’Anna Netrebko avait été accueilli avec un enthousiasme suivi d’interrogations : « à 34 ans, elle est bien jeune, non ? », « a-t-elle la voix du rôle ? » … A l’issue de la représentation de Norma du 23 septembre au Royal Opera House, l’on peut dire que la chance sourit aux audacieuses et que Sonya Yoncheva tient son pari.
Dès le récitatif d’entrée, la soprano bulgare s’impose. Puissante, mordante, autoritaire, la voix se glisse dans les habits de la prêtresse, autour d’un médium capiteux aux couleurs riches. L’aigu lui se resserre et se durcit un peu, ce qui renforce le portrait de la femme de pouvoir. Il y a là toute la hargne, les notes au scalpel vite caressées par des piani de velours pour offrir, après une très belle première partie, un deuxième acte électrisant. « Casta Diva » est abordé avec précaution, à l’inverse ensuite d’une cabalette endiablée, et l’on sent que, parfois, le souffle n’est pas aussi long qu’il devrait, notamment dans les parties plus cantabile. Ce que l’on constate ponctuellement dans d’autres fins de phrases au cours de la soirée où le soutien retombe. Enfin et pour ceux qui sont friands de suraigus venus d’ailleurs et de variations dantesques, Sonya Yoncheva reste sage. Peut-être s’économisait-elle pour le live au cinéma du lundi 26 septembre ?
Pureté de la ligne, nuances et couleurs caractérisent le Pollione de Joseph Calleja. Stylistiquement irréprochable, le ténor maltais surprend par le volume que la voix a acquis. Il se hisse au même niveau que la prima donna, partageant avec elle l’économie dans les variations. Sonia Ganassi n’en est pas à sa première Adalgisa et le métier sauve ce qu’une voix aux registres disparates et au passage délicat entrave. Problème plus grand encore pour l’Oroveso de Brindley Sherratt : le timbre est usé, la voix vibre au-delà du médium voire est trop basse dans l’extrémité de la tessiture. Chez les seconds rôles, Vlada Borovko suscite l’envie de l’entendre dans des emplois plus longs : une tradition pour les Clotilde de Royal Opera House. Les chœurs commencent la soirée en demi-teinte, solide chez les hommes et à la peine chez les femmes (les mezzos notamment) pour se rejoindre de belle manière (« Guerra, guerra ! »).
© ROH / Bill Cooper
Antonio Pappano prend le plus grand soin de chacun, du plateau jamais mis en défaut par la fosse aux différents pupitres auxquels il commande contrastes, d’une mesure à l’autre, tant dans le rythme que les nuances. La machine est bien huilée et le drame se déroule haletant, sans tonitruance, pour mieux charmer lorsque la magie de Bellini prend le relais.
Sur scène, il ne faut guère que les quelques secondes où le rideau reste baissé avant que l’on identifie le travail d’Alex Ollé. Le programme du ROH nous apprend qu’il a été studieux et que Norma est une histoire de fanatiques, d’une société brutalisée par le poids du religieux qui broie l’individu. Norma coupable d’aller contre la norme, coupable de penser qu’elle peut faire éclore le bonheur dans un monde si contraint sera immolée sur le bucher de l’ordre établi. Soit. Mais l’intrigue sera transposée dans une époque moderne afin que le public d’aujourd’hui puisse bien comprendre (sans trop se fatiguer). On aurait pu s’attendre à voir débarquer des groupies de Donald Trump sur scène, nous voilà plongés dans une Espagne franquiste qui vit au milieu d’une forêt de crucifix (à moins qu’il ne s’agisse de l’Argentine militarisée de Valentina Carrasco, co-signataire de la mise en scène). On oublie bien vite cette paresse qui consiste à penser que seuls des décors font sens pour se concentrer sur le reste. La direction d’acteur varie entre l’indigent (Adalgisa en éternelle éplorée, le chœur qui rampe vers le camp romain) et le remarquable. Les deux duos intimes Norma/Adalgisa, l’un traité en scène de confessionnal, l’autre comme scène d’intérieur alors que les enfants regardent la télévision, décrivent avec justesse les tourments et les relations entre ses deux femmes sœurs. Norma bénéficie d’un traitement attentif, que Sonya Yoncheva assume pleinement : chant et magnétisme aidant, la druidesse se réalise dans une seconde partie incandescente avec une confrontation avec Pollione digne d’un thriller et une scène finale déchirante. Le décor qui s’embrase apparaît presque comme une forêt d’ossements et, saisi par cet effet visuel grandiose, on pardonnerait presque les paresses précédentes. C’était sans compter l’ultime zeste « regie » de l’équipe artistique : Oroveso abat sa fille d’une balle dans la tête. #Facepalm.