Si le Ba-Ta-Clan évoque les funestes attentats du 13 novembre 2015, sait-on que la salle où les victimes furent prises en otage par les djihadistes tire son nom d’une « chinoiserie » d’Offenbach, dont le succès – 160 ans auparavant – ne s’est jamais démenti ? Sa programmation par le Festival Radio France Montpellier Région, bien que retenue avant les tueries, est un hommage aux victimes de la barbarie et un hymne à la vie au coeur d’une actualité toujours tragique.
Le premier livret jamais écrit par Ludovic Halévy est une réussite, non seulement par sa verve loufoque, mais par son sens dramatique et les situations qu’il offre au musicien. Quatre faux Chinois – l’empereur (régnant sur 47 sujets), que veut destituer le chef de sa garde, un mandarin, une mandarine – découvriront qu’ils sont français. Au terme de l’ouvrage, désopilant, chacun exaucera son voeu, le conspirateur accédant au trône et les trois autres regagnant la mère patrie. C’est pour Offenbach l’occasion d’extraordinaires parodies, en particulier un duo italo-chinois, que n’eut pas renié Rossini, et la citation du choral des Huguenots de Meyerbeer dans le finale.
La « version de concert » se traduit certes par l’absence de tout décor, costume ou accessoire, encore qu’y participe la spectaculaire grosse caisse, dont use Jean-Christophe Keck avec une saine énergie. Mais les mimiques, les gestes, les déplacements de chacun sont suffisamment éloquents pour que le public comprenne le chinois de fantaisie du librettiste et partage le bonheur des interprètes. La distribution est idéale où le talent le dispute à la jeunesse et à l’engagement : chacun des quatre solistes se révèle excellent chanteur mais aussi comédien. La diction est exemplaire, servie par un chant de haut vol. Stéphanie Varnerin (Fé-an-nich-ton) se distingue par ses traits dès le premier quatuor, par sa romance, mais surtout par ses envolées dans le bataclan. Les ténors, Rémy Mathieu et Enguerrand de Hys, ne sont pas en reste, chacun d’eux ayant son duo, avec une mention spéciale pour la savoureuse imitation de la trompette du finale. Enfin, Jean-Gabriel Saint-Martin nous offre un conspirateur de luxe, voix sonore, profonde, autoritaire comme il se doit (« Morto, morto, infamio»). Le piano d’Anne Pagès-Boisset, lui aussi inspiré par la verve de l’ouvrage, nous réjouit. Le musicien et musicologue français le plus épris d’Offenbach, dont il réalise patiemment l’édition critique, Jean-Christophe Keck, fait plus que diriger, il est l’animateur idéal de cette musique.