Toute l’action du Macbeth de Verdi se déroule dans un va-et-vient entre des espaces extérieurs ouverts, lieux où l’homme peut rencontrer des forces étrangères à ses régles et à la raison, et les espaces intérieurs, clos par définition, d’un château, lieu conçu par l’homme et témoignage de son aptitude à maîtriser les formes, et donc lui-même. L’histoire démontrera combien la cruauté est bien au coeur de l’être humain. Le premier lieu est donc la forêt sauvage où les sorcières annoncent leur avenir à Macbeth et à Banquo. Or ici on les découvre dans un espace fermé qui représentera plus tard à quelques détails près, selon la conception de Jacques Gabel, le château du nouveau sire de Cawdor. Pourquoi, alors que les arbres stylisés qui seront plus tard descendus des cintres auraient pu déjà suggérer le monde naturel où s’abritent les truchements du destin ? D’autant que l’utilisation astucieuse des mêmes cintres permettra à plusieurs reprises de varier les dimensions de l’espace à l’aide de panneaux susceptibles d’y être rangés. A situer les chœurs du premier tableau dans cette pièce de vastes dimensions les sorcières prennent l’allure, maquillage et costumes aidant, d’aliénées dans un asile dont les meubles renversés disent peut-être qu’il est à l’abandon. Est-ce dénuement ou folie, certaines sont nues, d’autres portent des haillons, d’autres encore des toilettes surannées – costumes de Catherine et Sarah Leterrier – et les comportements vont de l’agitation à la prostration. Il y a même un homme obèse qui semble se prendre pour Bouddha. Cela fait spectacle. Mais cela fait-il sens, cela éclaire-t-il l’œuvre ? Cela nous semble surtout témoigner de la difficulté éprouvée par Frédéric Bélier-Garcia à prendre un parti clair. L’intemporalité qui permettra de marier des sièges Louis XV à des costumes élisabéthains relève du procédé rabâché et s’accorde mal à sa définition de l’œuvre, « un polar médiéval ». La scène où une colonne descend des cintres pour que Lady Macbeth s’y appuie, puis l’étreigne, puis s’y frotte, peut-être lascivement, avant de retourner dans les hauteurs, tout comme la faiblesse de la scène du somnambulisme, achèvent de nous convaincre que cette mise en scène n’est pas encore complètement aboutie, comme semblent le prouver aussi les lumières parfois approximatives d’un Roberto Venturi d’ordinaire mieux inspiré. Des semi-réussites, comme celle du banquet – hormis la présence inutile des pyramides de verre – ou de superbes compositions, comme le tableau des persécutés du quatrième acte, nous persuadent pourtant qu’elle peut rapidement s’améliorer.
En revanche il sera difficile d’améliorer le versant vocal et musical, tant la qualité s’en révèle d’ores et déjà supérieure. Sans doute pourra-t-on regretter que le chœur initial des sorcières soit chanté et non glapi ou ricané, comme le souhaitait Verdi, et de n’avoir pas entendu la dérision attendue. Il n’en reste pas moins, à propos des choristes, qu’ils ont, hommes et femmes, tenu la distance sans faiblir et surmonté brillamment la complexité et la longueur de leurs interventions, on ne citera que le « O patria oppressa » du quatrième acte. On comprend leur fierté et celle de leur chef.
Est-ce pour la même raison – la décision de Pinchas Steinberg – que dans son ultime scène Lady Macbeth est aussi « chantante » quand le drame voudrait que sa vitalité altérée prépare l’annonce ultérieure de sa mort ? Mais ces objections pèsent vraiment peu en regard du résultat obtenu par le chef d’orchestre de la part de musiciens qui ne cessent d’étonner tant, après des années de galère, ils semblent avoir pris désormais une route ascensionnelle et s’y tenir. Entre départs et recrutements nouveaux, l’orchestre est désormais composé d’instrumentistes qui aiment leur métier et s’y investissent autant que nécessaire. Tous les pupitres sont à féliciter, et évidemment il faut rendre à Pinchas Steinberg ce qui lui revient, d’avoir obtenu tout à la fois raffinement dans les détails, dynamique efficace et lyrisme accompli, sans le moindre laisser-aller. Dosant admirablement énergie et tension, il donne une leçon d’expressivité et d’équilibre.
Csilla Boros (Lady Macbeth) et Juan Jesus Rodriguez (Macbeth) © Christian Dresse
En scène, Jean-Marie Delpas est un comparse dont la diction d’une clarté irréprochable fait paraître mauvaise celle de Xin Wang dans le bref rôle de Malcolm. Stanislas de Barbeyrac est un Macduff de haute volée, d’une élégance lumineuse, à la désinvolture scénique désormais entière, et qui après avoir ému dans « Ah, la paterna mano » trouve des accents quasiment héroïques pour s’élancer au combat. Wojtek Smilek est la valeur sûre que l’on connait et que l’on retrouve égal à lui-même en Banquo, chanteur probe et comédien mesuré. Nouvelle venue à Marseille, Csilla Boros fait briller les yeux des vieux abonnés comblés par sa voix riche à même d’assumer les exigences du rôle. Verdi l’eût peut-être récusée, car s’il faut une voix laide, le compte n’y est pas, mais elle a la vaillance, l’endurance, la souplesse et l’étendue, et sa présence dramatique est globalement convaincante, à l’exception de la scène du somnambulisme, dont elle ne porte sans doute pas toute la responsabilité. Cerise sur le gâteau, un inconnu venu remplacer le baryton annoncé, et voilà que l’opéra chavire pour Juan Jesus Rodriguez. Par quel mystère ce chanteur a-t-il échappé aux radars malgré une carrière déjà longue ? Inconnu de confrères espagnols alors qu’il a chanté jusqu’ici essentiellement dans les théâtres de la péninsule, il sidère le public par sa maîtrise du rôle, de ses nuances, une projection impeccable et une endurance vocale qui lui permettra de tenir jusqu’au bout de son rôle sans le moindre fléchissement, sinon expressif. Pour nous, le timbre n’est pas d’une séduction particulière, mais aux qualités énumérées, à cette vaillance typiquement verdienne il adjoint une présence scénique très convaincante. Aussi ce sont de véritables rugissements d’approbation qui accueillent sa sortie aux saluts ! Pas de doute, un grand Macbeth nous a été révélé !