Ce 22 mai 2016, anniversaire de la naissance de Wagner, la Semperoper de Dresden régale la ville d’une retransmission de Lohengrin sur la place de l’opéra. A l’intérieur du bâtiment, le directeur Christian Thielemann mène la danse. La production fait l’événement puisqu’elle compte deux prises de rôles scrutées à la loupe par la planète lyrique : Piotr Beczala en chevalier du Graal et Anna Netrebko, en fin d’une mue entamée après sa maternité et qui la conduit vers des emplois beaucoup plus lourds que la Giuletta de ses débuts parisiens.
Disons-le d’entrée il s’agit d’une belle prise de rôle, certes perfectible notamment dans l’incarnation mais les écueils où l’on pensait la voir s’abîmer sont bien gérés. La diction, déjà, est bonne – surtout en comparaison des Letzte Lieder parisiens la saison passée – quoique trop appliquée encore. L’endurance aussi pourra s’améliorer, non pas tant sur la durée du rôle, mais plutôt sur la capacité à tenir les phrases jusqu’au bout sans reprise de souffle intempestive ou sans couper la valeur des notes. Le naturel viendra avec le temps, et au-delà de ces réserves, les bagages italiens et belcantistes de la soprano russe sont du plus effet. Cette Elsa se pare de demi-teintes tendres ou encore de la furie des reines donizetiennes quand elle affronte Ortrud (et avec Evelyn Herlitzius il y a fort à faire). Piotr Beczala aborde le rôle avec ses moyens verdiens. Aussi, manque-t-il çà et là de volume dans les ensembles. Paradoxe d’un Lohengrin pourtant chanté de mâle manière : point de mezza-voce élégiaques ou de piano tenu sur le « Taube », les aigus sont lancés à pleine puissances, gorgés du timbre lumineux du polonais. Au final, au royaume des interprètes de Lohengrin, ces nouveaux venus ne trônent pas encore, ils sont prince et princesse consorts.
Thomasz Konieczny effectue lui aussi une prise de rôle en Telramund, auquel il prête toute la noirceur, la nasalité et le volume de sa voix dans un portrait brut qui gagnera certainement à être poli et nuancé lors de futurs engagements. La suprématie royale se trouve chez les interprètes dont l’expérience prévaut. Georg Zeppenfeld (Heinrich) ravit par une science de la déclamation exemplaire, assise sur une voix homogène. Evelyn Herlitzius (Ortrud) rassure enfin après les doutes que son Isolde et son Emilia avaient pu susciter. Le volume est torrentiel, les duretés et acidités de la voix exploitées avec génie dans ce portrait de magicienne effrayante. Reptilienne sur scène, elle captive dès le premier acte, avant même qu’elle n’ouvre la bouche dans le quintette final.
© Daniel Koch
La mise en scène de Christine Mielitz qui date de 1983 devait avoir l’avantage de ne gêner personne. Las, traditionnelle au point d’être compassée avec des costumes digne de Disneyland, elle provoque lassitude dès les premières scènes, voire agace franchement quand les chœurs passent leur temps à faire l’essuie-glace sans aucune cohérence, ou que les chanteurs sont rendus aux pauses et gestuelles les plus caricaturales.
Il est parfois bon de fermer les yeux pour se concentrer sur la musique, même quand la scène ne contient rien de « l’abominable regietheater ». D’autant que la Staatskapelle de Dresde est à la hauteur de l’événement. Si les violons sont toujours aussi soyeux, la palme revient ce soir aux cuivres précis et à la petite harmonie. On se délecte de chaque intervention des flûtes, hautbois, clarinettes et piccolo. Lyrisme et romantisme traditionnels caractérisent la lecture de ChristianThielemann, qui, comme pour Die Walkure en février dernier, ne retient pas franchement ses troupes dans les ensembles. Seule ombre au tableau d’une direction par ailleurs millimétrée. L’ouverture est un modèle de fondu entre les différents pupitres, comme si chacun se passait le flambeau de l’accord initial.