De qui Georg Anton Benda est-il le père ? Et de qui Mozart est-il le nom ? Le compositeur tchèque, outre sa nombreuse et prolifique progéniture aurait donc une descendance musicale et non des moindres s’agissant de Mozart par ordre d’entrée en scène. La filiation est plus qu’évidente après le Roméo et Juliette donné samedi à L’Opéra de Clermont-Ferrand par le Centre Lyrique d’Auvergne et cette rare recréation n’avait donc rien d’une récréation. Le livret d’après Shakespeare revisité par Gotter évacue sans autre forme de procès les meurtres de Mercutio et Tybalt pour concentrer l’action sur la passion amoureuse et conclure sur un inattendu happy end réconciliant Montaigu et Capulet autour des amants ressuscités, ou peu s’en faut.
Ce resserrement dramaturgique ne rend mise en scène et décors que plus délicats à appréhender. Pour la première Josépha Jeunet choisit l’épure, le strict minimum dans la spatialisation, servi par une intransigeante économie de moyens dans l’occupation et la gestion de l’espace. Avec à la clef un maximum d’acuité visuelle et de pertinence dans l’exposé des sentiments. Pour le second, Frank Aracil crée un univers minéral conciliant légèreté et densité. Une rectitude à la sacralité minimaliste qui ne met par contraste que mieux en valeur la force et la fragilité des protagonistes pris dans l’œil du cyclone des passions. La netteté du dessein dramaturgique se confond avec celle du dessin esthétique définissant les lieux où s’accomplit le destin : la pureté pour ne pas dire l’intransigeance des lignes de force psychologiques se légitime dans la géométrisation sans concession du décor. Son austérité formelle s’habille de la transparence des couleurs et de la sobre élégance des costumes de Véronique Henriot. Et ce sont bien les lumières subtilement harmonisées par Catherine Reverseau qui orchestrent et exacerbent les tensions. Non sans un certain hiératisme initié dès le premier acte par l’inquiétante vidéo crépusculaire de Pierre Levchin. Une lune à l’ambivalence matricielle, Janus femelle gravide d’un amour fusionnel comme des noirs présages de destruction et de folie. Versatilité du destin que rend plus évidente encore la déambulation processionnelle des orantes portant la dépouille de Juliette sur l’autel sacrificiel. Préraphaélites dans l’extatique balancement de leur marche funèbre, elles revêtent ensuite la blanche parure nuptiale avec la délicatesse symboliste d’un Puvis de Chavannes.
© Ludovic Combe
Erminie Blondel s’investie dans cette vision en parfaite héroïne que Mozart n’eut pas renié. Beaux aigus, bien placés dans le médium, personnifiant la force de caractère du personnage et sa tendresse. Belle incarnation d’une passion farouche mais qui sait doser ses effets, elle use d’une projection très sûre servie par un timbre radieux. Le charme opère autant vocalement que théâtralement dans les épisodes parlés. Il lui fallait une Laura volontaire et décidée. Elle la trouve idéalement dans le soprano aux inflexions plus corsées de Liliana Faraon. Nuances, diction et précision des dynamiques lui permettent d’exalter une saine énergie répondant par l’assurance épanouie de ses graves et l’équilibre de sa diction et de son appui, au désarroi amoureux de Juliette. Quand bien même le ténor Samy Camps n’aurait pas démérité, on attendait un Roméo à la projection plus étoffée et aux aigus moins tendus. Le soutien parait sans véritable consistance, trop économe en relief et virilité pour nous convaincre que, plus qu’un soupirant transi, il incarne bien ce fier Montaigu capable de venger son honneur dans le sang.
Engagement dont par contraste le baryton Ronan Airault se montre infiniment moins parcimonieux. Le charisme est là, la vaillance confondante aussi, y compris dans le bas de la tessiture flirtant avec la basse. Sa puissante caractérisation du père de Juliette est dotée d’une belle amplitude qu’il gratifie d’une poignante sensibilité dans la scène où, sommet de la tragédie, il menace sa fille. Saluons d’un même élan la profonde humanité du Frère Laurent de Dominique Touzé. Un rôle parlé qui n’en est que plus redoutable eu égard à sa complexité. C’est en effet sur lui, sur la perspicacité de son jeu, de ses talents de tragédien, que repose la fragile crédibilité de l’heureux rebondissement. Si la sincérité et l’intelligence dont son personnage irradie, suffisent à nous convaincre du bien-fondé de l’option, il nous manque peut-être côté scénique un deus ex machina plus flagrant voire plastiquement spectaculaire pour être irréfutablement convaincant.
Convaincante en revanche fut la direction à la sensualité sublimée d’un Pablo Pavon entièrement maître de son orchestre. Sa conduite magnétique fait de ce Roméo et Juliette une machine à rêver d’une précision et d’une cohésion qui en légitime l’intensité poétique au service d’une discrète volupté. Une exigence non dénuée de noblesse et d’élégance. Son Benda témoigne bien de cette passion sans retenue pour un rendu affuté, sans fioriture, mais extrêmement attentif à polir l’expressivité d’un détail. Voilà bien la caractéristique d’une ambition avant tout marquée par la générosité. Les chœurs aussi en firent une affaire de cœur… au risque parfois d’un excès d’empathie des pupitres de sopranos.