Comme chaque année, à côté de la superproduction du festival de Pâques, initié la veille avec un très attendu Tristan und Isolde à la distribution prestigieuse donné dans l’immense Festspielhaus de Baden-Baden, un opéra de chambre est proposé dans le ravissant petit théâtre à l’italienne de la ville, celui-là même où Hector Berlioz créa Béatrice et Bénédict en 1862. Et comme par le passé, ce sont les jeunes solistes du Berliner Philharmoniker qui officient.
À peine remis des émotions de la veille et de l’excellence du plateau vocal, difficile de passer en moins de 24h de l’univers de Wagner servi par des interprètes chevronnés à celui de Haydn revu et corrigé pour de jeunes professionnels, avec des moyens limités tant en effectifs (20 musiciens, 5 chanteurs et une comédienne) qu’en moyens (le décor est plus que minimaliste). Il serait pourtant facile de s’adapter à cette œuvre à la musique si charmante et maîtrisée si le spectacle tenait ses promesses. Or, le délicat et poétique opéra de Haydn est simplifié à l’extrême, dans une version édulcorée où, entre autres, deux rôles sont sacrifiés. Le barbon Bonafede qui avait deux filles à marier n’en a plus qu’une et seuls deux couples s’unissent au lieu des trois initialement prévus. Rien de bien gênant en soi, a priori, mais le parti pris de mise en scène et de traitement de l’ouvrage en souffrent. Si des coupes ont été opérées, le spectacle n’en est pas plus court pour autant et c’est là où le bât blesse, car les airs sont trop nombreux, entrecoupés de récitatifs et scènes silencieuses qui ralentissent considérablement l’action.
Les airs sont chantés en italien mais les récitatifs ont été traduits en allemand et un rôle parlé a été ajouté, celui de l’épouse décédée de Bonafede. Cette idée est plutôt bien trouvée et la comédienne Birgit Bücker impressionne de justesse dans ce beau personnage qui nous vaut quelques-uns des purs moments d’émotion de l’œuvre, le fantôme officiant comme catalyseur entre le père et sa fille Clarice qui vient de le berner pour réussir à s’unir à celui qu’elle aime. Bonafede rêve de la lune et un faux astronome, Ecclitico, amoureux de Clarice, lui organise le voyage, avec la complicité active de la servante Lisetta et de son galant Cecco. Dans un décor de fantaisie que les quatre amoureux font passer pour la lune au barbon, on profite de la crédulité de Bonafede pour lui faire cautionner les deux mariages et le délester de son argent. Après une colère homérique du père floué, tout finit évidemment par s’arranger. De cette histoire pour le moins tarabiscotée et invraisemblable, le metteur en scène Jörg Behr et sa dramaturge Sylvia Roth se tirent plutôt bien ; la direction d’acteurs est bonne, les accessoires judicieusement employés, mais quelque chose dans le rythme ne fonctionne pas bien et la mayonnaise ne prend pas car l’ambiance hésite entre drame et comédie. On finit par s’ennuyer, ce qui est un comble.
© Jochen Klenk
Le plateau vocal est sympathiquement investi et ne démérite pas. Patrick Zielke a été gâté par la nature d’un puissant organe à faire s’effondrer le petit théâtre ; le chant manque encore un peu de nuances, mais la jeune basse est prometteuse. Ses qualités de comédien sont remarquables et son jeu de jambes excellent, ce qui tombe à pic pour interpréter le barbon Bonafede. Il entraîne à sa suite avec une frénésie débridée le reste de la troupe. Également remarquable, dotée d’un sourire ravageur, la soprano allemande Victoria Kunze est une Clarice idéale, très à l’aise dans les vocalises et les aigus. Moritz Kallenberg ne manque pas de panache dans le faussement cynique Ecclitico et son acolyte Cecco est incarné avec fraîcheur et charme par Nikolaus Pfannkuch. En revanche, la Lisetta de Joyce De Souza peine à convaincre, bien trop sage et manquant de piquant et de relief.
Dans la fosse, Stanley Dodds semble diriger sans grand enthousiasme – cela ne lui ressemble pas – la jeune formation de l’Orchester-Akademie du Berliner Philharmoniker. Le tout est propre mais trop lisse, très en deçà de la belle performance empreinte de fougue et d’énergie qu’avaient offerte les jeunes interprètes berlinois l’année passée avec La Princesse de Trébizonde. Une déception, donc, celle de ne pas avoir eu droit à l’intégralité (ou ce qu’il en reste) de la partition et de découvrir un spectacle visiblement en rodage. On attend de découvrir ces jeunes interprètes d’ici quelque temps, quand ils auront acquis une maturité dont on ne doute pas qu’ils parviennent à l’atteindre.