Dernière production du BarokOpera d’Amsterdam, ce Don Juan 1815 qu’on présentait ce vendredi au Théâtre Royal de La Haye est une pièce très originale, mais hélas peu convainquante.
Au départ de ce spectacle à quatre mains, signé Frédérique Chauvet et Nynke van den Bergh, on trouve la commémoration d’une adaptation du Don Giovanni de Mozart qui fut donné ici même et en français (la ville sortait d’une période d’occupation française durant laquelle Napoléon avait imposé pour roi aux Hollandais son frère Louis, le plus irascible de la famille) le 6 novembre 1815, quelques mois seulement après Waterloo, il y a tout juste deux cents ans. De nombreuses adaptations du Don Giovanni, les unes relativement fidèles, les autres tenant d’avantage de la parodie, ont circulé dans les principales villes européennes pendant tout le XIXe siècle, et parfois même bien avant dans le XXe. Les raisons de ces adaptations tiennent au caractère violent, immoral et scandaleux de l’œuvre, que le siècle bourgeois ne peut souffrir, qu’il fallait absolument gommer, édulcorer pour satisfaire l’idéologie et le public de l’époque.
Deux de ces adaptations, l’une de 1805 due à Christian Kalkbrenner (1755-1806) et l’autre de Castil-Blaze (1784-1857) datant de 1815, un peu plus fidèle à l’original ont retenu l’attention des deux conceptrices de ce spectacle, qui présente une petite troupe d’opéra en répétition, ayant à choisir entre deux versions d’une même œuvre. Mise en abyme, rivalité amoureuse, conflit de génération, lutte des anciens contre les modernes constituent la trame un peu mince d’un spectacle d’opéra comique, chanté en français mais avec une partie de dialogues en neerlandais, qui reprend les principaux grands airs – parfois tronqués – de l’œuvre originale, mais en réécrit les récits (hélas) et sabre à grands coups dans les scènes secondaires, de sorte que la partition ainsi émasculée et sans structure perd toute force dramatique et tout pouvoir subversif. Reste une comédie burlesque, sorte de farce à l’italienne de peu d’intérêt, un pâle reflet de l’original.
Sur le plan visuel, le spectacle offre le minimum ! Quelques paravents pour seul décor, très peu de jeux de lumière, mais des costumes relativement élaborés servent d’écrin à une mise en scène très réduite et sans réelle conception globale. Cette production, très probablement, ne disposait pas des budgets nécessaires pour faire plus, elle aurait cependant pu faire mieux, en approfondissant un peu les relations entre les personnages ou en donnant plus de rythme et de vigueur à l’ensemble.
Un petit ensemble de chambre (24 musiciens sur instruments anciens) et quatre chanteurs se partagent tous les rôles. Ce serait une véritable prouesse si le résultat était à la hauteur des espérances. Toute personne sensée penserait que c’est impossible, le barokOpera Amsterdam lui, le démontre.
En effet, ni dans la fosse ni sur le plateau l’oreille ne trouve son compte. Certes, on ne peut guère attendre un résultat parfait lorsqu’on s’attaque à Don Juan avec des troupes aussi réduites. Mais ce n’est pas parce que les musiciens sont peu nombreux qu’ils sont dispensés de jouer ensemble, ou qu’ils peuvent se permettre de jouer faux. Le chef ne tient pas ses troupes, les enchaînements sont poussifs, Mozart, même en version « light », n’y trouve pas son compte.
Même constat du côté des chanteurs. Anne Rodier qui chante à elle seule et par bribes tous les rôles féminins, n’en domine véritablement aucun. Le timbre fort léger de la voix n’est guère intéressant, et sa technique ne lui permet pas d’aborder des rôles aussi difficiles, dont elle esquive d’ailleurs les passages les plus périlleux. En tant qu’actrice, en revanche, elle assume sa tâche avec aisance et humour.
La performance vocale est un peu meilleure du côté de Don Juan (Wiebe-Pier Cnossen) dont le matériau vocal – un riche timbre de baryton aux sombres couleurs cuivrées – convient bien au rôle. Sa formation de musicien de jazz lui donne la souplesse et l’aisance scénique nécessaires. Lui aussi assure une performance d’acteur de bon niveau, mais la mise en scène ne retient du personnage que le côté pinceur de fesse, gommant toute dimension névrotique (on n’ose parler de métaphysique…), de sorte que la course à l’abîme finale tombe un peu à plat. Leporello, redevenu Sganarelle, doit aussi emprunter le costume de Mazetto, ce qui provoque des effets du plus haut comique dans la scène du bal, où l’un donne la réplique à l’autre. C’est Pieter Hendriks qui tient ces deux emplois avec efficacité et courage. Quant au ténor Jean-Leon Klostermann, il campe non seulement le directeur de la troupe, Don Ottavio, mais on lui demande aussi de chanter les quelques répliques du commandeur, dont il n’a bien entendu ni la voix ni la stature, de sorte que les scènes où il paraît dans cet emploi, qui ne souffre aucune dimension comique, tournent tout simplement au ridicule. La vérité oblige à dire qu’il n’est guère convainquant non plus en Don Ottavio.
En conclusion, on comprendra que ce spectacle, pour original et inattendu qu’il soit, ne nous aura pas séduit, même s’il nous a, par moment, bien fait rire.