Excellente idée qu’a eue l’Opéra de Saint-Etienne d’ouvrir sa saison avec ce Médecin malgré lui trop peu souvent donné. On imagine que le bicentenaire de la naissance de Gounod permettra de réentendre quelques œuvres bien oubliées, et en 2018 sonnera peut-être alors l’heure du Tribut de Zamora qui dort depuis longtemps dans les bibliothèques. En attendant, il faut se réjouir que certaines institutions aient l’heureuse initiative de programmer des titres moins fréquentés que Faust, Roméo ou Mireille. Sans aller jusqu’à l’exhumation absolue que fut le Cinq-Mars monté la saison dernière par le Palazzetto Bru Zane, on rappellera la récente Colombe offerte par l’Opéra du Rhin. Quant au Médecin malgré lui, son sort n’est finalement pas si lamentable car, Molière aidant, sans doute, on a pu le voir dans une production réglée par Sandrine Anglade, notamment à Lille en 2009, à Rouen en 2010 et à Versailles en 2011 ; Laurent Pelly s’y attaquera à son tour en avril 2016 à Genève.
Même si le programme de salle n’indique que deux représentations stéphanoises, il est bon de préciser que ces deux-là furent précédées de deux autres, spécialement destinées à un public scolaire. Là aussi, l’initiative est heureuse, mais peut-être a-t-elle eu des conséquences sur l’ensemble de l’opération. Faut-il y voir l’explication des coupes fâcheuses qui affectent la partition dès le duo Sganarelle-Martine ? L’œuvre n’est pas si longue, on y parle beaucoup – Barbier et Carré n’ont réellement écrit que les paroles chantées, s’effaçant derrière Molière pour le reste – et, sans aller jusqu’à espérer redécouvrir les récitatifs spécialement composés par Erik Satie en 1923 pour Monte-Carlo, on pouvait au moins souhaiter écouter tout ce qu’a écrit Gounod. Est-ce également par ce jeune public qu’il faut justifier les choix de la mise en scène ? Alain Terrat opte pour un second degré pas toujours très loin du théâtre de boulevard, avec ces passages obligés que semblent hélas être devenus grimaces et petits pas de danse. Le Médecin malgré lui n’est pas la plus profonde des pièces de Molière, loin de là ; il devrait pourtant y avoir moyen d’en tirer autre chose que ce spectacle certes agréable, mais assez peu inspiré. Jérôme Bourdin propose un décor de gloriette, joli mais pas forcément commode, avec une tournette inutile (qui sert surtout à faire choir les chanteurs), et des costumes entièrement conçus dans une gamme de jaune-vert – couleurs censément réservées à Sganarelle –, chargés de rubans et d’ornements, qui évoquent le style du défunt Frédéric Pineau, collaborateur attitré de Jean-Louis Pichon : c’est toute une esthétique qui fait retour à Saint-Etienne, semble-t-il. Reste la question de la comédie qu’il faut bien faire jouer aux chanteurs : l’accent québécois de Jean-Kristof Bouton est des plus réjouissants, mais son acolyte Carl Ghazarossian semble incapable d’adopter la diction paysanne voulue par le texte. De manière plus générale, il manque un vrai grain de folie à cette comédie dont le metteur en scène rappelle lui-même que ce devrait être une farce.
© Cyrille Cauvet
La France est décidément un riche vivier de barytons, et l’on souhaite à Philippe-Nicolas Martin de se voir confier d’autres premiers rôles dont il a parfaitement l’étoffe vocale ; pour l’avoir vu dans l’inénarrable Fairy Queen in progress à Hardelot, on sait de quoi l’acteur est capable, mais sa verve comique semble ici un peu étouffée. D’un Gounod l’autre, on retrouve en Léandre ouvertement ridicule le ténor Jean-Christophe Born, peut-être plus à l’aise ici que dans la récente Colombe alsacienne, particulièrement dans son deuxième air, le fabliau « Je portais dans une cage ». Les deux mezzos qu’appelle la distribution présentent des qualités bien distinctes, qu’on aurait aimé trouver réunies : Marie Gautrot possède un timbre riche, mais Sophie Leleu a une voix plus égale et une diction bien plus nette. La basse Virgile Ancely est un régal à entendre, même dans les interventions parlées de Géronte. Jean-Kristof Bouton et Carl Ghazarossian sont bien appariés en Valère et Lucas, et l’on guette avec intérêt les prochaines prestations du baryton canadien. En Lucinde, l’expressivité de Jennifer Courtois prime nécessairement, pour un rôle d’abord limité à « Hin, hi, hon, han », puis aux quelques répliques par lesquelles elle brave son père.
Réduit à quatorze personnes et néanmoins fort sonore, le Chœur lyrique Saint-Etienne Loire rend justice aux pages que Gounod a composées, notamment le premier chœur des fagotiers et des bergères, où l’on entend déjà les laboureurs de Faust et les magnanarelles de Mireille. Avec des tempos pas toujours aussi enlevés qu’on pourrait le désirer, Laurent Touche à la tête de l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire a peut-être été plus sensible à la majesté du pastiche Grand-Siècle qu’à la légèreté de l’opéra-comique Second Empire.