Une semaine après un récital où Felicity Lott zigzaguait en virtuose entre le rire et les larmes, c’est au tour d’Annick Massis de rendre hommage aux courtisanes faisant l’objet de l’exposition de rentrée du Musée d’Orsay. Annoncée souffrante, elle arrive avec un programme ostensiblement plus sobre que celui de sa consœur, faisant avant tout la part belle aux mélodies décrivant l’attente, le désarroi, parfois l’humiliation qui frappent celles qui n’ont que leur corps et leur beauté pour métier.
La soirée s’ouvre par les 4 chansons de geisha d’Henri Tomasi. Membre du groupe « Triton » aux côtés de Honegger, Milhaud et Poulenc, le compositeur d’origine corse livre, avec ces mélodies écrites en 1935, une œuvre marquée avant tout par une influence tardive de l’orientalisme et de la japonaiserie. Parsemant à intervalles réguliers ce cycle d’un peu moins d’un quart d’heure, les évocations répétées au vol des oiseaux au-dessus des cerisiers en fleur et le recours aux gammes pentatoniques finissent par lasser, en dépit de l’espèce de distanciation un peu ironique que cherche à y trouver Annick Massis. Elle apparaît plus à son aise dans les mélodies de Bizet, Berlioz et Gounod qui poursuivent le programme : égalité des registres dans « Les adieux de l’hôtesse arabe », clarté de l’élocution jusqu’au plus haut de la tessiture de « La Captive », remarquable sens de la nuance et de la progression dramatique dans « Medjé ». Ce n’est que dans « Sposa, son disprezzata » que l’indisposition de la chanteuse affecte véritablement la ligne de chant ; la crispation évidente du soutien vocal laissait entrevoir le pire pour une deuxième partie placée sous le signe du bel canto.
Il n’en fut rien. La Traviata, on le sait, inspire Annick Massis ; introduite par une transcription du prélude au IIIème acte, qui met en valeur le piano subtil d’Antoine Palloc, sa Violetta émeut dès la lecture de la lettre de Germont. « Addio del passato », s’il montre une héroïne en proie aux confins de la souffrance, est pourtant meurtrier pour une voix affaiblie. Mais celle d’Annick Massis ne rompt pas, qui surmonte tous les pièges tendus par les harmonies lancinantes de cette longue lamentation. Conclusion du programme officiel, la scène finale d’Anna Bolena apparaissait, ce soir plus que jamais, comme un véritable acte de bravoure. Dans une tessiture qui ne se situe pas naturellement dans sa zone de confort, Annick Massis déploie toute sa science de belcantiste, son art du trille, du cantabile et de la vocalise, pour électriser le public. En dépit de la fatigue, et face aux insistantes réclamations, Rossini et Offenbach ajoutent, en bis, une touche de légèreté à cette soirée où furent sublimées les femmes qui souffrent…