De cet Ernani, créé en 2014 à Monte-Carlo, on retiendra surtout le retour de Jean-Louis Grinda, ancien directeur général de l’Opéra Royal de Wallonie. À Liège, il était donc là en terrain conquis avec un public acquis à sa cause.
Mettant en scène un ouvrage « proscrit » de Giuseppe Verdi puisque Victor Hugo fit obstacle à sa représentation à l’Opéra de Paris, le Monégasque s’efforce vaille que vaille de se départir d’un livret trop alambiqué pour rendre uniquement la beauté de la musique dans des décors troublants avec l’utilisation d’un miroir incliné en fond de scène. Sans révolutionner le genre, Jean-Louis Grinda prend le parti d’une esthétique picturale assez classique : la Bataille de San Romano de Paolo Uccello forme l’écrin, et les interprètes naissent de ce tableau pour venir s’engloutir sur scène. Certes, les « modernes » diront que ce n’est pas d’une grande originalité, mais on ne se lancera pas dans une bataille esthétique pour cet Ernani… Jean-Louis Grinda peut surtout compter sur la direction musicale de Paolo Arrivabeni qui semble emporter à lui seul par son énergie la scène liégeoise. Avec un enthousiasme sans pareil, sa performance tient du miracle : il soutient passionnément et intensément la partition ampoulée d’Ernani. C’est qu’avec ce cinquième ouvrage lyrique, Verdi n’a pas eu la main légère. Certes, on reconnaît à quelques reprises des parallèles avec les œuvres à venir comme Il Trovatore, mais le public liégeois, si prompt à s’enthousiasmer d’habitude, semble un peu troublé par cette œuvre vindicative et nerveuse.
Sur scène, les interprètes sont eux aussi happés par cette terrible impétuosité qui ravira les plus assidus. Toutefois, si les deux premiers actes manquent parfois d’éclat dans leur interprétation au point de se dire comme Elvira, « Ernani ! Involami ! » (Ernani ! Fuyons ensemble !), il faut attendre le troisième pour sentir toute l’ « étreinte odieuse » de ce drame lyrique et être finalement emporté par la rage et la passion comme il convient avec Verdi.
© Opéra Royal de Wallonie/Lorraine Wauters
Comme la vengeance boîteuse, la voix du ténor argentin Gustavo Porta vacille quelque fois, notamment lors des deux premiers actes, mais il faut dire qu’en Ernani, le chanteur s’aventure sur un terrain instable. Pour sa première à Liège, il n’arrive hélas pas suffisamment à s’imposer, ce qui rend trop peu sensible son adieu à la vie… L’Elvira de la soprano cubano-américaine Elaine Alvarez impressionne davantage pour son enthousiasme scénique que pour sa prestation vocale qui manque de stabilité et parfois de nuances. Cependant, tout marche, et le hasard corrige le hasard ; de là vient l’équilibre dans cette oeuvre emportée.
Qu’à cela ne tienne, Lionel Lhote – le régional de l’étape – règne en maître sur le reste de ses partenaires. Sans être le prototype parfait du baryton verdien, le Belge ne cesse néanmoins d’impressionner en Don Carlo. Eloquent et incisif dans les récitatifs, il magnifie l’œuvre avec un solennel et ample « Oh, de’ verd’anni miei » qu’il sculpte de sa voix dans un marbre orgueilleux avant de nous éblouir avec un émouvant final « Oh, sommo Carlo ! ». D’ailleurs, c’est à lui que le public réservera ses plus beaux applaudissements. Quant à la basse bulgare Orlin Anastassov, incarnant Don Ruy Gomez de Silva, il allie souplesse et puissance, en étant capable d’une véritable présence scénique, alors qu’il était annoncé souffrant. Reste l’énorme point faible de cette production liégeoise, les chœurs. Sous la direction de Pierre Iodice, ils manquent tout simplement de rythme et de cohésion, emportés, semble-t-il, dans le fleuve impétueux et véhément du grand jeu verdien.