Cela ressemble à une séance de rattrapage pour les Parisiens qui n’ont pu passer l’été dans la douce Provence, à regarder des opéras sous les étoiles. La même oeuvre de Mozart, le même chef, et une distribution largement reconduite. A en croire Laurent Bury, on ne regrettera pas la mise en scène bête et pontifiante de Martin Kusej, d’autant que ce soir et contrairement au Freichutz du même Théâtre des Champs Elysées la semaine passée, les dialogues sont maintenus, tout juste un peu raccourcis pour enchainer plus rapidement les numéros. Non ce soir, vraiment, ce ne sont pas de vaines provocations qui mettent le feu aux poudres.
Est-ce parce qu’il est à la tête de son Cercle de l’Harmonie ? Ce soir Jérémie Rhorer « est, comme à son habitude, un modèle de dynamisme – tempos très allants, de manière générale – et de raffinement » comme l’écrivait notre confrère… mais plus encore ! L’orchestre rougeoie de détails en tout genre : contraste piano/forte, là un contre-chant, tel contrepoint et encore une trouvaille ici ou là. Au sens théâtral s’ajoute une véritable profondeur dans les textures de l’orchestre, à peine diminuée par quelques scories des cors et un manque de moelleux plus manifeste dès lors que le tempo ralentit. Déplorera-t-on un volume parfois un peu inconsidéré pour le plateau ou pour l’excellent Ensemble Aedes ? Regrettera-t-on des allures plus calmes pour les quelques vocalises glissantes qu’entraine la fougue de cette baguette ? Qu’importe ! La tonalité générale est toujours adéquate, passant de la mélancolie au burlesque, sautillante, faussement sérieuse, mozartienne.
Des qualificatifs que l’on pourrait reproduire à l’égard de Jane Archibald. La soprano américaine convainc dès son air d’entrée, non pas dure comme à Aix, mais révoltée. D’ordinaire douloureusement dépitée, cette Constance épouse la pulsation rapide, darde et tranche ses aigus tout en s’offrant nuances et variations à l’occasion. Les deuxième et troisième aria achèveront d’emporter l’adhésion d’un public très enthousiaste : la virtuosité des vocalises, l’aisance, le legato, le souffle bien sûr, mais surtout la construction psychologique, phrase après phrase, d’une jeune femme en plein combat contre elle-même et cet univers d’homme. Quel bonheur que son Belmonte du soir (c’était Daniel Behle en terres aixoises) rivalise avec elle dans le soyeux du timbre, la musicalité, les nuances et la tendresse du personnage. Leur dernier duo avant le final est un baume. Norman Reinhardt, non content de chanter avec classe, est audacieux : dès le premier air il tente un crescendo sur une note tenue, ponctue chaque reprise de piani et demi-teintes radieuses. Le reste de la soirée sera à l’avenant.
David Portillo entame sa prestation sur un registre bien plus noble que ce que voudrait le caractère d’un Pedrillo. Ce n’est qu’impression, très vite le brillant de la voix viendra mettre en lumière l’espièglerie du valet même si la forme concertante handicape un soupçon l’interprète. Espièglerie qui manque cruellement à Rachele Gilmore (Blonde), limitée par le monochrome de l’expression, ainsi qu’un aigu acide et souvent imprécis. A la place de Franz Joseph-Selig, libéré des errements de certain metteur en scène, Mischa Schelomianski (Osmin) relève les défis de virtuosité que lui propose l’orchestre, à peine la projection s’en ressent elle, quand on voudrait un rien plus de profondeur et de largeur pour complètement chavirer. L’attention au texte est remarquable et l’interprète sait parsemer la ligne de quelques nasalités bien dosées et surtout bienvenues. Enfin Christoph Quest (Selim) démontre qu’en version concert, il n’est pas même besoin de musique pour se faire entendre : un port, une économie de gestes suffisent à faire son affaire, dès les premiers mots.