Salle comble à nouveau ce soir pour Les Gondoliers, douzième œuvre et dernier triomphe des deux compères Gilbert & Sullivan (1889, 554 représentations à la création). Le synopsis est pourtant assez conventionnel, mais pas plus inepte que celui du Trouvère, et prétexte comme toujours chez G&S à des jeux de mots intraduisibles et à une musique toujours aussi humoristique et divertissante, mêlant des réminiscences de Mozart, Rossini, Bellini et Bizet à l’habituel pastiche de Purcell ou de Haendel. Le plus intéressant et subversif d’un livret compliqué se situe au moment où les deux gondoliers, rois par intérim mais bons républicains, ont entrepris de réorganiser le royaume sur des principes égalitaires. Les résultats sont surprenants, car maintenant le seul moyen qu’ils ont d’obtenir quelque chose est de le faire eux-mêmes.
On voit tout les partis que l’on peut tirer d’une histoire aussi abracadabrantesque mêlant de façon incompréhensible l’Italie et l’Espagne, y compris une révision comme celle réalisée à l’ENO en 2006 où toute l’œuvre avait été transposée avec grande réussite dans les années 1950. Car si l’époque change, pas le propos, il s’agit de se moquer de la société de son temps, comme G&S le faisaient de leurs contemporains et de la cour de la reine Victoria (et comme Offenbach l’avait fait pour celle de Napoléon III). On est d’autant plus surpris d’apprendre que Victoria demanda en 1891 une représentation privée des Gondoliers à Windsor et y prit grand plaisir.
Malheureusement, ce soir, c’est la « grande tradition » qui prime, on n’ose dire la « pire » tradition, celle de Mogador de Valses de Vienne dans les années 60, avec des décors et des costumes kitsch, des éclairages hors de propos et des ballets ineptes et trop répétitifs. Heureusement que la mise en scène de John Savournin, bien que peu inventive, est globalement plutôt bien pensée, et que le plateau est parfait. Car, comme pour toutes les représentations, ce sont souvent les mêmes artistes qui chantent tous les soirs ; la distribution nous offre donc un échantillonnage remarquable de chanteurs lyriques-acteurs dont l’emploi habituel est le grand répertoire, mais qui prennent aussi un vrai plaisir à jouer ces Comic Operas impertinents.
Richard Gauntlett, Elinor Jane Moran et Sylvia Clarke © Gilbert & Sullivan Festivals / Photo Jean-Marcel Humbert
On retrouve donc avec intérêt Elinor Jane Moran en Cassilda, dont la voix souple est particulièrement adaptée à ce type de rôle. Ses parents Richard Gauntlett et Sylvia Clarke forment un couple princier impayable, et assurent avec grand professionnalisme des scènes hautement comiques. Plus sages sont nos gondoliers Robin Bailey et Kevin Greenlaw, et leurs épouses respectives Claire Lees et McMahon, mais tous ont à la fois le physique de leurs rôles, des voix fraîches et bien timbrées et un allant communicatif. Une mention spéciale au très bon Luiz de Nick Sales, au vétéran Bruce Graham (Le Grand inquisiteur Don Alhambra Del Bolero), et à tout le reste de la troupe, absolument épatante. La direction de David Steadman est comme toujours alerte et bien en situation, sans que l’on ait à remarquer le moindre décalage dans d’incessants démarrages et des rythmes plus que soutenus.