Non loin de Poitiers – l’une des rares métropoles de région à ne pas présenter de saison d’opéra –, les Soirées lyriques de Sanxay ont su, en quinze ans, s’imposer comme le rendez-vous des mélomanes qui ont pu y entendre quelques-unes des grandes voix d’aujourd’hui avant que les plus grands théâtres se les disputent. Grâce au succès remporté l’an dernier par Nabucco, le festival s’est autorisé à programmer pour la première fois une œuvre lourde à monter, pour laquelle ses organisateurs ont su, une fois de plus, réunir une distribution de premier ordre.
Rudy Park est décidément un Calaf qu’on entend en ce moment beaucoup en France (et ailleurs) : en février 2016, il reprendra à Montpellier ce rôle qu’il tenait à Nancy en 2013, et il est à prévoir qu’il y remportera le même triomphe, tant son profil vocal correspond au personnage. Voix d’une puissance sans faille, aux couleurs souvent barytonales, le ténor coréen s’impose comme une évidence, et son « Nessun dorma » connaît le succès attendu. Tosca à Bastille en 2003, puis à nouveau en septembre dernier pour quelques représentations, Anna Shafajinskaïa est une de ces voix de l’est spécialisées dans les rôles meurtriers, avec une prédilection pour Turandot, justement. Bien qu’indisposée selon l’annonce faite en début de soirée, la soprano ukrainienne vient à bout des difficultés du rôle sans effort apparent, composant une princesse de glace majestueuse et sonore. Tatiana Lisnic était Donna Anna à l’Opéra de Paris il y a peu ; avec les mêmes qualités qu’on avait alors pu souligner, elle compose une Liù plus vaillante, plus affirmée que ce n’est souvent le cas mais, revers de la médaille, le premier air manque regrettablement de la tendresse attendue, alors que quelques instants auparavant, l’admirable diminuendo sur la dernière note de « Perchè… mi hai sorriso » laissait présager plus de délicatesse. Du trio des ministres, on distinguera surtout le Ping d’Armen Karapetyan, néanmoins fort bien entouré par Xin Wang et Carlos Natale. Si Nika Guliashvili est un Mandarin autoritaire comme il sied, on s’avoue un peu moins convaincu par le Timur un peu sourd de Wojtek Smilek. Baryton dans un emploi parfois confié à des ténors en bout de course, Ronan Nédélec s’acquitte très honorablement des répliques d’Altoum. Grands bravos pour le chœur, protagoniste indispensable de cette œuvre où le peuple commente presque constamment l’action (cette année, un excellent chœur d’enfants s’y était joint). Les mêmes acclamations vont à l’orchestre des Soirées lyriques qui, sous la direction toujours experte d’Eric Hull, rend admirablement justice aux audaces harmoniques de Puccini.
Refusant tout kitsch extrême-oriental et privilégiant la lisibilité, Agostino Taboga a voulu pour cette Turandot une Chine couleur d’encre : l’action se déroule dans un décor noir de Maria Rossi Franchi, composés de claustras mobiles, et le peuple de Pékin porte des costumes noirs, sur lesquels tranchent les tenues vivement colorées de principaux personnages, signées Shizuko Omachi. Pas de relecture cherchant l’originalité à tout prix, mais néanmoins quelques touches personnelles : la première scène de l’acte II, où Ping, Pang et Pong (au visage bleu vert, maquillé comme celui des acteurs de l’Opéra de Pékin) sont entourés de fonctionnaires occupés à tamponner et classer des documents ; la toute jeune figurante qui vient représenter l’ancêtre de Turandot pendant « In questa reggia » ; ou encore ces socles placés à cour et à jardin, sur lesquels montent la princesse et le prince inconnu pour la scène des énigmes.