Vesselina Kasarova est du nombre des cantatrices inclassables, adulées par les uns, vouées aux gémonies par les autres. Une voix particulièrement puissante et chaude lui avait permis une ascension ultra-rapide au début des années 90, qui l’avait propulsée directement vers les premiers rôles, notamment dans l’opéra français (Carmen, Charlotte, Dalila). Son goût pour le baroque lui a permis d’aborder bien d’autres rôles. Mais il semble qu’elle ait atteint assez rapidement ses limites en termes de style et de gestuelle, devenus stéréotypés et répétitifs. Elle se produit aujourd’hui fréquemment en récital, où la puissance de sa voix impressionne plus qu’elle ne touche. Sa technique est intacte, mais le jeu est lassant et les minauderies horripilantes.
Long fourreau noir, lourd collier de jais, elle présente comme à son habitude une série quasi immuable de mélodies de Rachmaninoff et de Tchaïkovski, et de fait, c’est dans ce répertoire mélodique qu’elle excelle. La langue russe, sa seconde langue maternelle, fait partie de sa culture, et même ses gestes exagérés et ses poses quasi acrobatiques peuvent se trouver justifiées par des textes dont elle comprend et souhaite faire partager la moindre intention. De même, musicalement, elle assure une ligne mélodique de bonne tenue, et l’on apprécie dès lors toutes les finesses d’une interprétation magistrale, mêlant chez Rachmaninoff véhémence et parlando, intériorité, accents dramatiques et chantants évoquant la grande Ewa Podlès.
Mais c’est avec Tchaïkovski que l’atmosphère se détend enfin. On est soudainement transportés dans le salon de musique de Madame Larina, où Olga régale des invités de mélodies. Le grand opéra est toujours là, avec ses gestes exagérés, mais la complicité avec l’excellente pianiste Irina Krasnovska finit par calmer le jeu, et la cantatrice raconte enfin plus qu’elle ne joue, jusqu’à offrir, avec KolÏbelnaja pesnja, une interprétation légère et aérienne, presqu‘irréelle : du grand art. En conclusion, Den li tsarit? montre ce dont la diva est vraiment capable, un jeu dramatique sans être outré, en osmose parfaite avec l’accompagnement. Et cela confirme bien que les mélodies ne sont pas faites pour être jouées comme au théâtre, et que la vraie simplicité est seule à pouvoir révéler le sens profond du texte, comme avec le Largo de Haendel donné en bis.
De la première partie, mieux vaut ne rien dire, et considérer qu’il s’agit d’une erreur de programmation. Français incompréhensible, notes enflées et diminuées sans arrêt brisant nette la ligne mélodique, et hachant même le rythme qui se désarticule, Villanelle est loupée, Le Spectre de la rose détonne, et même si Absence est mieux réussi, le tout manque de légèreté et les notes graves deviennent gutturales pour ne pas dire poitrinées. C’ést sûrement très beau, intéressant et même parfois poignant, mais ce n’est ni Les Nuits d’été, ni du Berlioz ! On comprend que Vesselina Kasarova ait envie de chanter ce répertoire, mais il n’est pas pour elle, elle n’en a aucun des moyens.