« Musique – Comédie », indique le bandeau qui couronne l’avant-scène de l’Opéra-Comédie de Montpellier : c’est le lieu rêvé pour cette soirée proprement extraordinaire. Un an après avoir signé une parodie d’Hippolyte et Aricie, Charles-Simon Favart donnait à l’Académie Royale de Musique son « Don Quichotte et la Duchesse », ballet comique sur une musique de Joseph Bodin de Boismortier. L’ouvrage nous étant parvenu privé de ses scènes de comédie, indispensables à la compréhension des parties musicales, Corinne et Gilles Benizio (Shirley et Dino) ont réinventé l’intrigue extraite du roman de Cervantès et réalisé la mise en scène. Leur complicité avec Hervé Niquet est ancienne, et on se souvient de leur King Arthur, de Purcell (2009), puis de leur Belle au bois dormant (2011). Coproduit par Metz et Versailles, le voici donné dans le cadre du Festival Radio-France Montpellier Roussillon Languedoc.
La scène est connue où Don Quichotte et Sancho Pança sont accueillis dans un château, par une fausse mise en scène singeant un accueil triomphal, pour devenir la risée du Duc, de la Duchesse et de leurs paysans. Nullement affecté, Don Quichotte va connaître de nouvelles aventures (ici enrichies à souhait) et se dévoiler dans sa bonté naïve, dans sa foi candide, et dans sa véritable noblesse spirituelle. Le parti-pris de la mise en scène est clair : il ne s’agit en aucun cas d’une tentative de reconstitution à prétention historique, c’est l’esprit qui gouverne. Par-delà le sourire ou le rire obtenus à bon compte, la mise en scène traduit en effet une rare intelligence du XVIIIe : La partition y invite, riche de tous les ingrédients (parodies, pastiches, situations : scène sylvestre, air de bravoure, air de vengeance, sommeil des amants, magicienne, scène infernale assortie de ses diableries, recours aux machineries). Malgré quelques lourdeurs inhérentes à la farce, le spectacle est bondissant, léger. La mise en scène riche en trouvailles, inventive à souhait, sait surprendre et divertir. Sans jamais tomber dans la reconstitution, chorégraphies et costumes sont un régal pour l’œil. Les plaisanteries sont faciles et vont droit au but : le public rit de bon cœur. Shirley et Dino ont un art consommé du détournement, et le mettent au service de leur livret et de la mise en scène.
« J’ai toujours rêvé de diriger mon orchestre à la lance » déclare Hervé Niquet au début du spectacle. L’attention portée au chant est constante. Les tempi sont rapides. La musique vit. Cependant, l’orchestre, en fosse, paraît lisse, manque parfois de relief : les accents, les oppositions, la dynamique pourraient être avantageusement soulignés. Les bois, sollicités dans plusieurs airs, sont remarquables, aériens, bavards, colorés. Le continuo séduit. Les danses, nombreuses et variées à souhait, nous rappellent que nous assistons à un « ballet comique ».
La musique, essentielle, d’une écriture souvent raffinée, semble réduite à un élément décoratif et c’est peut-être là que réside la limite de l’exercice : alors que sa qualité est rare – nombre de pièces ou de passages auraient pu être signés Lully, Rameau, voire Gluck (celui des opéras-comiques) – elle semble s’effacer au profit de la farce. L’exemple le plus flagrant est celui de la passacaille finale : les applaudissements interviennent bien avant qu’elle s’achève, ce qui nous prive de ce plaisir. Pour autant, il y a matière à satisfaire les plus exigeants baroqueux, car la réalisation permet d’entrer de plain pied dans un monde qu’ignorent trop souvent les formations spécialisées, celui de la Foire.
Tous les chanteurs s’y révèlent d’extraordinaires comédiens, et leurs qualités expressives et de diction sont telles que le surtitrage ne doit servir qu’aux malentendants. Marc Labonnette, Sancho, s’y révèle magistral, de la première à la dernière scène. Le timbre est riche, la voix expressive et toujours intelligible. Le Don Quichotte d’ Emiliano Gonzalez Toro, voix claire, aux aigus légers et au médium riche, atteint à une certaine grandeur au début du second acte (« Séjour funeste où règne la terreur »), mais c’est au dernier (« Que les enfers me déclarent la guerre ») qu’il donne la pleine mesure de ses qualités. Il est dommage que la mise en scène le confine dans un personnage plus caricatural qu’humain. Altisidore, Chantal Santon Jeffery, est très sollicitée. Si ses airs de vengeance ou de courroux (« C’est est assez, ingrat ! », « Ingrat, connais Altisidore ! ») sont réussis, c’est au finale, en Japonaise, (« Vole, amour vole ») qu’elle atteint à une rare perfection. João Fernandez (Merlin) est un beau baryton-basse, noble, à l’émission franche et claire. Son « Cesse d’opprimer l’innocence » du dernier acte est un modèle de chant baroque. S’il joue parfois au pitre, Gilles Benizio, qui va retrouver son Crooner dans quelques semaines, sait aussi faire montre de qualités vocales indéniables. Camille Poul, tour-à-tour une paysanne (fausse Dulcinée) puis une suivante, enfin « Le joli Sapajou » est piquante, voire acide, agile aussi. Une mention particulière pour Charles Barbier, dont l’unique intervention (un amant) suffit à confirmer les étonnantes qualités (souplesse, conduite de la ligne, ornementation). Les chœurs, chantés par d’excellents comédiens, contribuent au caractère opératique du spectacle.
Le public est enthousiaste. On sort heureux, mais partagé, interrogatif sur le rôle dévolu à la musique.