Des délires d’amour au pays des cow boys : cela passe ou cela casse. Avec ses airs de western spaghetti et ses flonflons de saloon, on retiendra surtout de L’Elisir d’amore de l’Opéra de Liège son exécution musicale. On est à peine plongé au cœur d’un village du Far West, en carton pâte, que résonnent les premières notes du prélude donizettien, sous la baguette assurée de Bruno Campanella. Il faut dire, pour ce qui est du décor, que le tableau est pour le moins pittoresque. Car dans l’opéra-western mis en scène par Stefano Mazzonis di Pralafera, on trouve une femme-shérif aux airs de Calamity Jane, des bandits, des prostituées de saloon, un croque-mort qui semble sortir tout droit d’un album de Lucky Lucke et même un chien plus intrépide que Rantanplan. Au départ, on craint que tous ces éléments criards soient là pour compromettre la parfaite réussite de la représentation, surtout si l’on a du mal à scinder L’Elisir d’amore de cette mémorable production viennoise qui, en 2005, avait décrété le succès d’Otto Schenk et de la triade Netrebko-Villazón-D’Arcangelo. Et pourtant, le résultat final de cette version liégeoise du célèbre melodramma giocoso est loin de déplaire. Malgré les quelques perruques fluorescentes, les transformations royalistes de la « regina Isotta » en « regina Paola », les clins d’œil un peu hasardeux au ragtime de Scott Joplin et à la musique des westerns spaghetti d’Ennio Morricone (qui parviennent à trouver leur place – étonnamment – dans la partition donizettienne), cet Elisir d’amore finit par enivrer et conquérir.
Adrian Sampetrean (Dulcamara) © Opéra de Liège
Évidemment, l’exécution musicale y est pour beaucoup. Avec la maîtrise de Bruno Campanella, le charme de l’Elisir fait vraiment de l’effet. Sur scène, Maria Grazia Schiavo est une Adina excellente : son timbre pur et cristallin épouse à merveille les caprices du personnage, en maîtrisant les aigus avec aisance et élégance. Même le jeune ténor Davide Giusti fait preuve de valeur. Il faut dire qu’il était attendu au tournant jusqu’à la dernière minute. On a craint un instant qu’en manquant de brillance, son rôle de Nemorino, en niais magnifique ne lui colle à la peau toute la représentation. Ce ne fut pas le cas, et c’est tant mieux. Son Nemorino tendre et frisé est fort crédible, et le timbre puissant et chaleureux de sa voix ne manque pas de susciter quelque furtiva lagrima d’émotion. Julie Bailly, quant à elle, est une Giannetta fraîche et délicate, accompagnée par des chœurs très harmonieux. Mais la vraie surprise, c’est Adrian Sâmpetrean, néophyte de l’opéra de Liège. Déployant un talent sans faille, tant scénique que musical, et hilarant à tout point de vue, la basse roumaine incarne le charlatan Dulcamara à la perfection, en dépit d’une tenue vestimentaire quelque peu grotesque. Son interprétation est entraînante et irréprochable, même lorsqu’il tente de vendre une bouteille de son « specifico » miraculeux… au chef d’orchestre ! Seul le Belcore de Laurent Kubla s’avère peu convaincant. Le baryton reste trop en retrait dans son rôle de méchant et n’arrive pas à la hauteur de ses autres partenaires de scène. Par moment, sa voix semble manquer de fermeté, et c’est dommage. Certes, dans le livret de Felice Romani, Belcore est le personnage le moins réussi, et il faut reconnaître également que le baryton belge a été sans doute limité par des impositions scéniques ayant caricaturé son interprétation à l’extrême. Cela constitue la seule fausse note d’une production qui, finalement, respecte le caractère joueur de l’opéra donizettien, en accumulant les pirouettes, sans pour autant dénaturer l’œuvre.