Le personnage de Sir John Falstaff, présent dans trois pièces de Shakespeare, a inspiré entre 1761 et 1982 dix-sept œuvres lyriques, parmi lesquelles les plus connues sont celles de Verdi, Nicolai et Salieri. Cette dernière a fait l’objet de cinq enregistrements et d’un DVD, mais est assez rarement jouée sur scène. Plus que d’une curiosité, il s’agit pourtant d’une œuvre intéressante à plus d’un titre, que le théâtre d’Herblay présente à travers une compilation musicologique entre les diverses versions existantes. Le déroulement de l’action y est très proche de celui des deux autres opéras, mais l’absence du couple de jeunes amoureux permet de resserrer encore plus l’action. Car ne nous y trompons pas, c’est la comédie qui prime, l’œuvre est amusante, et le parti pris de la présente production est de faire rire au maximum les spectateurs à partir des mésaventures de Falstaff.
Musicalement, on se situe entre Mozart et Haydn. La partition, légère et entraînante, brillamment défendue par les musiciens de l’ensemble baroque Diderot, est dirigée avec esprit par Iñaki Encina Oyón qui accompagne avec maestria la mise en scène décalée : grâce à lui, les gags scéniques trouvent un accompagnement musical sans hiatus, et la musique participe totalement de la comédie.
Un astucieux dispositif scénique de Caroline Oriot nous transporte dans une entrée d’immeuble moderne où le ballet des ascenseurs vers deux studios est propice à tous les chassés croisés et quiproquos dont l’œuvre regorge. Les magnifiques costumes colorés années 80 d’Agathe Trotignon (75 costumes pour 17 chanteurs), créent une transposition spectaculaire et astucieuse. Marilyn Monroe et Marlène Dietrich, mais aussi Michel Fau ne sont jamais loin, et complètent le délire ambiant.
La mise en scène de Camille Germser, sans trahir l’œuvre, est volontairement agressive et efficace, sans être vraiment novatrice. Le parti pris en est simple : il consiste à créer une inversion de sympathie, en mettant au début le public du côté des deux femmes, mais en les rendant rapidement ridicules et parfaitement insupportables. Ainsi en arrive-t-on à plaindre Falstaff et à compatir à ses mésaventures douloureuses menées par ces mégères méchantes et bêtes. La qualité majeure de cette mise en scène est de ne trahir ni l’œuvre ni la musique, et même de l’accompagner efficacement. Trop peut-être, et là est le problème.
Le point le plus gênant de la démonstration vient des surtitres, qui traduisent en langage « contemporain » le texte d’époque. L’idée de ce contrepoint est astucieuse, mais avec seulement deux yeux et deux oreilles, à quoi le spectateur peut-il donner la primeur ? Impossible de regarder à la fois les gags scéniques, innombrables, et les surtitres, fort drôles, qui détournent par trop l’attention. Impossible aussi d’écouter le texte chanté en mettant en surimpression ces textes écrits dans le langage des banlieues. Et si l’on veut goûter en plus les délicieuses lignes mélodiques orchestrales et vocales, c’est le mal de tête assuré. Surtout quand, comme ce soir, le moindre effet comique, d’où qu’il vienne, est ponctué dans la salle par les rires de gorge et gloussements incessants de toute une ribambelle d’aficionados. On rit de bon cœur, mais au bout d’un moment, on finit par décrocher, car trop c’est trop.
© Théâtre Roger Barat – Herblay
Le plateau est éblouissant tant vocalement qu’au niveau du jeu des comédiens. On doit saluer tout particulièrement trois performances : Philippe Brocard campe un Falstaff pitoyable et ridicule, mais en même temps humain et sympathique, vocalement irréprochable. Claudia Moulin, une Mrs Ford arrogante et pétrie de bourgeoisie frivole ; l’actrice, irrésistible d’à-propos, mène l’action avec un entrain communicatif et des qualités vocales qui peuvent lui ouvrir un grand éventail de rôles. Et Maria Virginia Savastano, une Betty (et une « Tedesca ») désopilante, qui jongle avec l’italien et l’allemand, offre en prime une magnifique scène de pastiche de cabaret années 80 intégrée dans le cours du second acte. Ses qualités d’abattage et de drôlerie font penser à une sorte de Despina qui s’amuserait au jeu de la comédie et de la séduction.
Les autres personnages sont plus des faire-valoir. Le rôle de Mr Ford, avec ses vocalises du ré grave au contre-ut dièze, se rapproche plus de l’opéra séria que de l’opéra bouffe : Sébastian Monti entre bien dans ce rôle de mari jaloux un peu ridicule, dont il joue parfaitement le côté sérieux en contrepoint de la folie ambiante. Eléonore Pancrazi (Mrs Slender), joue la bourgeoise un peu coincée qui, sous des airs pince-sans-rire, s’offusque souvent de la situation mais y participe néanmoins crânement. Wiard Witholt (Mr Slender) et Olivier Déjean (Bardolfo) complètent parfaitement cette belle distribution.
Comme chaque année à Herblay, l’événement qui consiste à monter une production originale d’opéra est relayé par tous les services culturels de la ville, et surtout réalisé en relation directe entre l’opéra et l’école. Les artistes se déplacent dans les établissements scolaires durant toute l’année et les élèves vont à l’opéra au moment des représentations (963 enfants concernés). Deux publications d’un grand intérêt sont accessibles sur Internet, le dossier artistique et le dossier pédagogique, et l’on peut voir sur la page Facebook de la production de nombreux clips vidéo où les chanteurs présentent le personnage qu’ils interprètent.