Trois ans après sa création, le spectacle d’Olivier Py n’a rien perdu de sa pertinence ni de son impertinence, pied-de-nez aux attentes conventionnelles que l’on peut nourrir vis-à-vis d’un opéra devenu à ce point pilier du répertoire qu’on en oublie souvent l’accueil plutôt froid qu’il reçut à ses débuts en 1875. Dans sa note d’intention, le metteur en scène considère Carmen comme une « œuvre empreinte des inquiétudes de son temps ».
La mécanique du spectacle est parfaitement rôdée, elle-même partie intégrante d’une mise en abyme dont nous avions dit l’intérêt et l’originalité dans notre compte rendu de 2012. Le décor tournant de Pierre-André Weitz est bien huilé, réduisant les craquements qui avaient incommodé alors une partie des spectateurs. Véritable manège évoquant l’éternel retour du même, il tourne d’ailleurs à vide durant les entractes en cette journée placée sous l’invitation « Tous à l’opéra ! » qui vaut une fréquentation record à l’Opéra de Lyon. Il est vrai que l’on proposait à l’extérieur un concert de flamenco et à l’amphithéâtre, au premier sous-sol, une projection gratuite de l’opéra donné dans la grande salle, mais dans la captation réalisée en 2012.
À la différence de l’interprétation de Stefano Montanari entendue naguère, celle de Riccardo Minasi privilégie un tempo plus distendu, donnant par moment le sentiment de la lenteur, accentuant le désenchantement et la dimension tragique de l’œuvre. Dans ce discours de la pesanteur sociale brisant les élans d’amour et de liberté, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon brille toujours par sa justesse, son ensemble et l’expression subtile des contrastes.
Carmen, Lyon 2015 © Stofleth
Kate Aldrich donne une présence émouvante à Carmen. La diction est claire, la voix chaude et sensuelle, plus expressive toutefois dans la récrimination que dans la séduction. Si le Don José d’Arturo Chacón-Cruz bénéficie d’une puissance vocale indéniable, elle est mise au service d’une forme d’expressionnisme, certes cohérente au sein du spectacle, mais bien peu lyrique pour qui attend avec quelque impatience son air « La fleur que tu m’avais jetée » ou tout simplement la musicalité qui s’empare du texte parlé dans « Carmen, je suis comme un homme ivre ». Mais on ne peut dire que du bien de Jean-Sébastien Bou, qui donne au personnage d’Escamillo la prestance physique et vocale espérée, réunissant harmonieusement précision de la diction, qualité de la projection et élégance du phrasé.
En 2012, Nathalie Manfrino remplaçait Sophie Marin-Degor, souffrante. C’est cette dernière qui ce soir chante le rôle de Micaëla, avec un engagement tout aussi passionné et une intensité touchante.
Bien d’autres rôles sont remarquablement interprétés durant cette soirée, comme le Moralès de Pierre Doyen, qui l’interprétait déjà en 2012 avec une belle présence physique et une grande qualité vocale, le Dancaïre de Mathieu Gardon et le Remendado que chante Florian Cafiero – deux artistes du Studio de l’Opéra de Lyon, aussi convaincants vocalement que scéniquement. L’air des cartes donne l’occasion d’entendre avec tout autant de plaisir deux autres de ces artistes, Valentine Lemercier en Mercedes et Laure Barras (récemment Juliette à Lyon dans Romeo und Julia de Blacher) en Frasquita.
Les Chœurs de l’Opéra de Lyon, que dirige Nicolas Krüger, toujours aussi homogènes et précis, contribuent au succès de la représentation que le public nombreux et enthousiaste applaudit longuement.