Distribution à peine renouvelée, pour la sixième programmation de Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de Robert Wilson à l’Opéra de Paris. En ce soir de première, alors que la prochaine saison vient d’être dévoilée en fanfare et qu’un public nombreux s’engouffre dans l’immense salle, juste à côté de la porte d’entrée bien gardée, Jack Lang bavarde avec Stéphane Lissner, nouveau maître des lieux.
Avant d’avoir composé une note de son anti-opéra, Claude Debussy décrivait ainsi à son ami Maurice Emmanuel ce qui serait pour lui le librettiste idéal : « Celui qui, disant les choses à demi, me permettra de greffer mon rêve sur le sien […] et me laissera libre, ici et là, d’avoir plus d’art que lui, et de parachever son ouvrage ». Le texte poétique de Maurice Maeterlinck se prêtait à la fusion artistique souhaitée par le musicien. Résultat : un chef-d’œuvre qui, d’emblée et toujours, a inspiré le respect. Et cela, en dépit de ses ambiguïtés, de ses répétitions, de ses mièvreries. Pour ne pas dire ses hermétismes, ses ressassements, ses niaiseries…
Son intégration au système Wilson que certains révèrent, que d’autres saluent (sans y adhérer), ou rejettent en bloc, mérite de faire consensus tant elle situe cet ouvrage unique dans l’intemporalité, dans l’universel, voire dans l’au-delà. Décors ascétiques, lumières ponctuant l’action et colorant les émotions, costumes sophistiqués, gestuelle déshumanisante, immobilité alternant avec une lente chorégraphie marchée, parfois même glissée… Cette transposition millimétrée offre au spectateur un contrepoint visuel, presque un rituel qui fascine. Plus important encore, l’imagerie proposée par Wilson ne masque jamais l’essentiel : la magie de ce qui s’adresse à l’ouïe à travers la poésie des mots et de la musique intimement confondus. « Tu ne me sembles pas heureuse », dit Pelléas, « Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste… », répond Mélisande. Exhaussées par un chant subtil à la limite du parlé, ces phrases banales touchent davantage que bien des envolées lyriques. La stylisation extrême des principales scènes ( perte de l’anneau ; le moment où Mélisande chante d’une voix aérienne son air sublime « Mes longs cheveux » du haut d’une tour irréaliste ; l’arrivée d’un Golaud-Othello vengeur lors du chaste baiser) les rend d’autant plus mémorables.
Elena Tsallagova (Mélisande) © Elisa Haberer / Opéra national de Paris
Conduit avec fougue et conviction par Philippe Jordan, l’Orchestre de L’Opéra national de Paris met pleinement en valeur les couleurs impressionnistes et les harmonies délicates de la partition. Dans son ardeur à servir cette musique diaphane, à faire entendre sa fluidité et ses rythmes angoissants et mystérieux, le chef en oublie de modérer des décibels qui couvrent parfois les voix, sans nul doute involontairement.
Semblant plutôt à l’aise avec le diktat de la direction d’acteurs wilsonienne, les principaux interprètes se montrent convaincants. Avec son physique de poupée, sa gracieuse silhouette longiligne et souple, son soprano de velours et son articulation nette, la cantatrice russe Elena Tsallagova fait une délicieuse Mélisande ; femme-enfant spontanée, innocemment coquette. Doté d’un timbre plaisant et d’une diction française limpide, Stéphane Degout, se réaffirme comme un Pelléas vocalement idéal ; il est attirant sans jouer les séducteurs… Quant à Paul Gay, lui, plutôt baryton que basse, serré dans sa tunique, maquillé et emperruqué, il semble parfois un peu gêné aux entournures (on le serait à moins un soir de première dans un tel carcan). Toutefois, le chanteur français possède une voix agréable et un excellent phrasé ; son Golaud dramatiquement engagé s’impose avec force de bout en bout.
Desservie par une ridicule culotte bouffante portée sur des bas noirs moulants qui la féminisent, Julie Mathevet a beau dire intelligemment son texte et posséder une voix fraîche, on ne croit pas une seconde qu’elle puisse être le petit Yniold. On regrette la prononciation approximative de Doris Soffel (Geneviève) en particulier durant sa lecture de la longue lettre qui introduit l’action. Par ailleurs, on apprécie au passage la superbe basse de Jérôme Varnier qu’on aimerait entendre dans un rôle plus consistant que celui du médecin.
Si Franz-Josef Selig reste en retrait durant la première partie, son vieil Arkel se dessine mieux ensuite. Au moment de la mort de Mélisande, il se montre tout à fait remarquable. C’est en grand interprète que la basse allemande, emportant le nouveau-né, prononce les derniers mots mélancoliques écrits par Maeterlinck. « Venez , il ne faut pas que l’enfant reste dans cette chambre… Il faut qu’il vive maintenant, à sa place… C’est le tour de la pauvre petite… ».
Applaudissements mérités et respectueux, comme il se doit…