On attendait une grande claque. La grande bourrasque sonore pétrifiant sur place l’auditeur saisi d’effroi, peut-être même éploré, comme jadis ce curé des Invalides qui, ainsi que le raconte Berlioz dans ses Mémoires, pleura sur l’autel un quart d’heure après la création publique de sa Grande messe des morts en 1837. Mais il n’en fut rien.
Avant tout, une chose est certaine, l’interprétation de l’œuvre proposée par Tugan Sokhiev a le mérite de mettre en lumière l’extrême délicatesse de la partition de ce Requiem, où, contrairement aux idées reçues, la musique tutoie à maints égards le silence, où le ton psalmodique des monodies vocales et instrumentales confinent au plus intime recueillement. Mais ces piani, si obscurs et mystérieux soient-ils, n’ont de sens et d’effet que s’ils sont contrebalancés, dans cet élan dramatique et hugolien voulu par Berlioz, par une apogée magistrale.
Aussi, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, engourdi dans une placidité quelque peu monotone, peine à retrouver le surcroît de dynamisme nécessaire aux passages musicalement et dramatiquement les plus intenses. C’est ainsi que le Lacrymosa, ce moment paroxystique de l’œuvre où les coups d’archer sonnent comme les hoquets de larmes des ressuscités, souffre malheureusement de ce jeu doucereux. Dans l’acoustique très réverbérante de la Philharmonie de Paris, le son, loin d’être saturé, autorisait donc davantage de mordant. Pour le Tuba Mirum, en revanche, l’effet de spatialisation est très réussi : comme au jour de la création du Requiem en 1837, les cuivres sont disposés aux quatre coins de la salle. Il est toutefois dommage qu’ils ne soient pas toujours synchrones, en particulier à l’ouverture du Tuba Mirum, en deuxième partie du Dies Irae, minorant l’effet de coup de théâtre tant attendu de ces trompettes du Jugement dernier.
A l’écoute de cette messe, nous réalisons à nouveau à quel point elle constitue une véritable gageure pour les chanteurs : que l’on pense par exemple au Quaerens me, entièrement a capella, et ses aigus en pianissimi. Et le chœur Orfeón Donostiarra, d’une très grande qualité, est à la hauteur de cette partition exigeante. En particulier, la diction du texte liturgique est extrêmement précise et rigoureuse et les nuances sont là. Et pourtant, le chœur ne nous propose aucune véritable interprétation de l’œuvre et s’acquitte pour ainsi dire scolairement de sa tâche. Certes, les contrastes inhérents à la théâtralité de l’œuvre sont forcément là, tels qu’ils apparaissent dans la partition ; mais à l’intérieur même des phrases du texte liturgique, point assez de relief, point d’attaque, et finalement, point de cette rhétorique déclamatoire.
Le moment de grâce nous vient d’un Sanctus hors du temps, avec en soliste le ténor Bryan Hymel, placé au milieu de l’orchestre : la tessiture large, la rondeur, les aigus précis et puissants, et le souffle, inépuisable, font de lui un ténor absolument exceptionnel.
Au XIXe siècle, la Grande messe des morts, tragédie humaine d’une esthétique à rebours de son temps, quasi contre-pied au requiem mozartien, avait de quoi bouleverser. Le mélomane du XXIe siècle, quoiqu’averti, n’en attend pas moins de retrouver dans cette œuvre tout le modernisme de cet esprit romantique qu’était Berlioz. C’est là qu’on reconnaît un chef d’œuvre, de composition comme d’interprétation. Mais si pour le compositeur français, « la musique a de grandes ailes que les murs d’un théâtre ne lui permettent pas d’étendre entièrement », ce soir, pourtant, les murs de la Philharmonie de Paris n’ont point tremblé.