Après Idoménée, Così fan tutte et Don Giovanni, Jérémie Rhorer poursuit son cycle Mozart au Théâtre des Champs-Élysées avec La Clémence de Titus. La réalisation a été confiée cette fois à Denis Podalydès qui avait déjà proposé in loco sa vison de Don Pasquale en 2012. Dès le lever du rideau, le metteur en scène se réfère à la tragédie classique : nous assistons en effet à la dernière scène de Bérénice de Racine : une comédienne déclame les adieux de l’héroïne à Titus avant les premiers accords de l’ouverture. Le décor représente le grand salon d’un palace où Titus est sa cour se sont installés. L’action se déroule au cours des années 30, comme le suggèrent les costumes seyants de Christian Lacroix. Quelques colonnes en bois évoquent un péristyle, ce lieu de passage où se croisent les héros des tragédies classiques. Pourtant, l’agitation perpétuelle qui règne au cours du premier acte, le va-et-vient incessants de voyageurs chargés de valises et le traitement du personnage de Vitellia présentée ici comme une virago hystérique, incapable de demeurer en place, tirerait presque le propos vers la farce.
Au second acte, en revanche, dans l’hôtel dévasté par un incendie, les différents personnages, Vitellia comprise, acquièrent une grandeur, une noblesse dans leurs attitudes et leurs gestes, conforme à leur rang, qui culmine dans la grande scène de confrontation entre Titus et Sextus où le public retient son souffle tant l’émotion est à son comble : un grand moment de théâtre.
La distribution, somme toute homogène, est dominée par l’étonnante Vitellia de Karina Gauvin. Sorte de mégère au premier acte, flanquée de deux serviteurs et d’une suivante qui tentent de modérer ses accès de fureur, son personnage évolue peu à peu jusqu’à atteindre une dimension tragique lors de son dernier air « Non più di fiori ». Vocalement, la cantatrice est parfois éprouvée par la tessiture meurtrière de sa partie qui s’étend du sol grave au contre-ré, mais parvient à tirer son épingle du jeu grâce à sa technique souveraine et une présence indéniable sur le plateau. Le chef lui facilite la tâche en faisant notamment jouer l’orchestre piano afin de ne pas couvrir ses notes graves – ténues, mais audibles – sur les mots « Veggo la morte ver me avanzar ».
Si dans la vision de Podalydès le personnage de Vitellia connaît une évolution positive, il n’en est pas de même pour Titus, présenté ici comme un être veule, indécis, influençable, dont la clémence apparaît presque comme une échappatoire qui lui permet de se tirer d’une situation inextricable sans avoir à prendre une décision lourde de conséquences. Le rôle pousse Kurt Streit jusqu’aux limites de ses possibilités vocales, voire au-delà, notamment au cours de l’air « Se a l’impero », crucifiant pour le ténor. En grand styliste, il affronte crânement les difficultés qui émaillent sa partition, quitte à les utiliser à des fins dramatiques et parvient à composer au final un personnage cohérent, tant sur le plan vocal que scénique.
Kate Lindsey réussit à compenser un timbre relativement pauvre en coloris par une maîtrise parfaite du style mozartien et un investissement théâtral qui force l’admiration. Si les vocalises de son premier air manquent un peu de précision, l’interprétation poignante qu’elle donne de « Deh per questo istante solo » au deux, soulève l’enthousiasme de la salle qui lui réserve un triomphe mérité.
Julie Boulianne est une excellente surprise en Annius. Sa voix ample et bien projetée, son timbre chatoyant captent l’attention et font regretter que son rôle ne soit pas plus étoffé. Un Sextus en herbe assurément. En revanche le rôle de Servilia ne met pas en valeur les qualités vocales de Julie Fuchs à moins qu’une fatigue passagère ne soit responsable de cette incarnation terne et sans relief. Robert Gleadow enfin, qui incarnait Leporello dans le Don Giovanni dirigé par Rhorer en 2012, constitue un luxe dans le rôle épisodique de Publio.
Impeccable à chacune de ses interventions, l’Ensemble vocal Aedès n’appelle que des éloges.
Au pupitre Jérémie Rhorer dirige avec une grande précision, comme à l’accoutumée, un Cercle de l’Harmonie en grande forme, en particulier les vents, souvent sollicités dans cet ouvrage. Les tempi qu’il adopte, sont contrastés, certains passages sont menés à vive allure, d’autres en revanche sont extrêmement ralentis comme si le chef voulait les éclairer d’un coup de projecteur. Cette option peut paraître déroutante mais le résultat est d’une grande théâtralité.