En ce soir de Saint-Nicolas, le Bayerische Staatsoper bruit comme une cour de récréation. Une fois n’est pas coutume, dans la salle les têtes blondes rivalisent en nombre avec les blanches. C’est que La flûte enchantée de l’autre côté du Rhin a valeur de conte de fées. Est-il possible dans ces conditions de ne pas envisager le singspiel de Mozart comme une féerie ? Le bien, le mal, la franc-maçonnerie, August Everding les laisse aux grandes personnes, sa proposition correspond à celle que tout enfant attend de Die Zauberflöte. Là est la raison du succès et de la longévité de cette production, reprise une énième fois à l’occasion des fêtes de fin d’année. La quête de Pamina et Tamino n’est que prétexte à illustration. Le parti-pris ennuierait vite l’adulte que nous sommes devenu si le luxe des moyens mis en œuvre ne captait l’attention du début à la fin de la représentation. Toiles peintes, rideaux, trappes et machineries diverses composent un livre d’images dont on regarde, émerveillé, les pages se tourner. L’univers représenté fait davantage penser à une Inde fantasmée façon Montesquieu qu’à l’Egypte maçonnique. Les colonnes du temple sont cependant palmiformes, la voute céleste poudrée comme un ciel d’Orient, la reine de la nuit porte une couronne d’étoiles et Sarastro une perruque poudrée qui ferait du Grand-Prêtre une réplique d’un philosophe du siècle des Lumières s’il y avait dans ce décorum un message à déchiffrer. Et, à vrai dire, cela fait du bien de redevenir môme, de se laisser raconter une histoire sans chercher à deviner ce que cache le rideau du récit. À condition évidemment que l’éloquence de la musique supplée la simplicité du propos scénique.
© Wilfried Hoesl / Bayerische Staatsoper
De ce côté, pas d’inquiétude, Mozart à Munich est en ses terres. Il suffit, pour le vérifier, d’écouter la manière dont l’orchestre entre dans l’ouvrage, comparé à la façon dont Rossini était abordé la veille*. La solennité avec laquelle Dan Ettinger pose les premières mesures de l’ouverture est révélatrice de l’approche : majestueuse sans emphase, noble sans froideur, élégante sans affectation. Jamais le chef ne cherche à brusquer sa lecture de la partition. Cette Flûte ne se préoccupe pas de faire jeune puisque, dès les premières mesures, l’affaire est entendue : sa jeunesse est éternelle.
Les voix au sein de cette parure somptueuse semblent pierres précieuses. Leur éclat n’est pas tant individuel que collectif, leur gageure étant de parvenir à chanter ensemble sans renoncer à leur individualité. Pour preuve, ces trois dames indissociables et pourtant clairement distinctes, ou ces numéros à plusieurs dont on contemple, captivé, le maillage. D’autant que, ô prodige, pour une fois les trois génies chantent juste. Le public leur réservera d’ailleurs l’ovation que mérite pareil exploit.
De cette communauté de talents se détachent ceux auxquels Mozart a attribué une, voire plusieurs, interventions solistes. A en croire les applaudissements finaux, tous comme au temps de l’école des fans de Jacques Martin, ont mérité la note maximale. Pourtant la plus acclamée, Hanna-Elisabeth Müller aura pu sembler ingrate de timbre et dure d’aigu à ceux qui ont d’autres Pamina dans l’oreille. Günther Grolssbück n’a pas le grave évident, si digne soit son Sarastro. Mais Ana Durlovski défie toutes les lois vocales tant son soprano, sombre et épais, parvient à négocier les vocalises les plus ardues et atteindre avec une apparente facilité des notes a priori incompatibles avec un registre médian affirmé. Nikolay Borchev, appelé in extremis pour remplacer Christian Gerhaher, confirme ce que Prosdocimo* la veille suggérait : des dons d’acteur équivalents à ceux de chanteur. Ce Papageno enjoué, pleutre et attendrissant ne déroge pas d’une plume à la tradition. Charles Castronovo au contraire offre de Tamino un portrait inhabituel, latin ainsi que l’évoque la barbe brune et le métal rayonnant, viril, ardent et cependant doué d’un phrasé et d’une lumière dont bien des Tamino blonds pourraient se montrer envieux. De cette seule entorse à la tradition sourdent les émotions les plus vives de la soirée, n’en déplaise aux enfants.