Puisqu’il s’agissait d’un crêpage de chignon annoncé, il est évident que les spectateurs pouvaient s’attendre à de belles empoignades sur scène des deux divas invitées. En effet, dans la foulée de la sortie de leur album Rival Queens où elles illustrent la rivalité entre Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni qui s’étaient battues sur les planches en 1727, Vivica Genaux et Simone Kermes ont pu montrer de quoi elles étaient capables vocalement mais aussi scéniquement, se livrant sur le plateau à une débauche de mimiques, provocations gestuelles ou vestimentaires.
Pour illustrer la virtuosité vocale de la Bordoni, c’est Vivica Genaux qui officie. La technique est impressionnante, l’ornementation effectivement virtuose voire ébouriffée, les airs de fureur convaincants marqués par des glapissements à faire frémir, les effets spectaculaires nets et sans bavure, mais le tout laisse une vague sensation de froideur. En un mot, on cherche en vain un peu d’émotion véritable au-delà de la beauté et de l’élégance de la jeune femme, ravissante dans sa robe d’oiseau de paradis digne d’une fée Lilas, avec pour concession à la modernité et provocation érotique une fente à l’avant qui laisse découvrir des jambes parfaitement galbées.
Dans le rôle de la rivale Cuzzoni, Simone Kermes en fait des tonnes. À l’image de sa robe, véritable cacophonie visuelle entre rose thé, fuchsia et rose bonbon rehaussée de violet agressif, sa bague surdimensionnée a pour pendant des chaussures en lamé grises visibles puisque la robe s’arrête au-dessus des genoux au lieu des chevilles, dans un effet très proche d’un Rocky Horror Picture Show. D’ailleurs, la soprano multiplie les effets auto parodiques, se trémoussant et s’agitant comme en discothèque. Les yeux écarquillés en parfaite folle à lier dans un numéro que n’aurait sans doute pas renié Nina Hagen, elle multiplie les fulgurances déjantées en suraigus éblouissants pas toujours très précis, ce qui n’est pas étonnant avec une telle agitation digne du Crazy Horse. La belle s’amuse visiblement beaucoup et le public manifeste son enthousiasme. On en reste bouche bée. Pas sûr que les inédits interprétés par la diva en ressortent grandis, mais la joute de vocalises ne manque pas d’impressionner. Les deux artistes se jaugent, minaudent et se volent la vedette, organisant leur propre claque (résultat garanti, et dans ce match, c’est Simone Kermes qui l’emporte haut la main) puis se prennent aux cheveux, dans un règlement de compte fictif et complice où les deux voix s’accordent assez harmonieusement, façon Desperate Housewives.
Jouant parfaitement le jeu, la Cappella Gabetta conduite par le violoniste Andrés Gabetta excelle à faire briller les deux (rock) stars. Les quinze interprètes semblent à la fête, sourires entendus à l’appui. Mais c’est pour les rappels que le concept de la soirée prend tout son sens. Tout à coup, le claveciniste égrène quelques notes familières et notre duo se met à nous concocter en direct un pot-pourri Abba/rock désopilant et plus que décontracté. Leur « Gimme gimme gimme a man after midnight » est irrésistiblement décalé mais drôle et remporte un succès quasi hystérique. Les deux belles terminent assises au bord de la fosse et nous offrent une charmante Barcarolle, bras et robes enlacés gracieusement en nous souhaitant une « Belle nuit, ô nuit d’amour ». Il y a pires façons de mettre les gens au lit.